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Channel: Rémy SABATHIE – Les Yeux du Monde
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Le sempiternel dossier nucléaire iranien

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Après une semaine d’intenses débats diplomatiques à Vienne, les négociations de l’Iran et des « 5+1 » (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) ont abouti à un échec prévisible. Aucun accord complet concernant le programme nucléaire iranien n’a été trouvé entre les diplomates des grandes puissances mondiales. Pourtant, un an jour pour jour après l’accord intérimaire historique trouvé dans la capitale autrichienne, la situation n’a guère évolué. Un délai supplémentaire de sept mois est évoqué. Prochain échéance prévue en juin 2015 : une succession de délais et autres reports, synonymes d’enlisement diplomatique.

A gauche, Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères et à droite, John Kerry, le Secrétaire d'Etat américain

A gauche, Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères et à droite, John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain

La diplomatie n’est pas la magie. Le monde se rend aujourd’hui compte qu’après 10 ans de négociations avec l’Iran, les résultats tant espérés par les Occidentaux ne sont pas obtenus. Néanmoins, en prenant davantage de recul, on voit bien qu’occulter des décennies de relations d’adversité entre les États-Unis et l’Iran en une semaine de tractations n’est pas réalisable. Même si le président Ahmadinejad, occidentophobe acharné, n’est plus là, remplacé par un Hassan Rohani de toute évidence moins véhément, le contexte de sanctions extrêmement dures à l’égard de l’Iran n’a pas disparu, même s’il a été certes légèrement allégé. Dans ces conditions, il serait vain de croire à un accord complet et rapide. L’un ne peut aller avec l’autre. Le temps diplomatique ne le permet pas puisque dans le cas de l’Iran, nous en sommes à peine au réchauffement des relations diplomatiques et du rapprochement des partis en présence. Espérer un accord complet reviendrait à « mettre la charrue avant les bœufs », pour le dire sans le tact qu’exige l’exercice diplomatique.

Quoiqu’il en soit, étudier le dossier nucléaire iranien nécessite d’avoir à l’esprit que dans un domaine aussi stratégique que le nucléaire, la coopération ne peut être totale. Par conséquent, l’espoir d’un accord complet, incluant une transparence parfaite, est un mirage rhétorique. Les négociations constituent déjà en soi une forme de normalisation des relations entre l’Iran et l’Occident. Les États-Unis ne sont plus tout à fait considérés comme le grand Satan chez le rejeton de l’antique Perse. C’est déjà un ample progrès.

Cependant, l’éternisation des pourparlers ne joue pas en faveur d’un apaisement régional car l’incertitude est le venin des relations internationales. Cette situation suscite la méfiance qui encourage la course aux armements. L’Iran souffre du même complexe obsidional que la Russie ou qu’Israël et ce sentiment d’encerclement se nourrit de l’incertitude ambiante. L’Iran se pense comme pris en étau entre des États sunnites hostiles qui s’arment de plus en plus, des bases américaines disséminées dans tout le Moyen-Orient, des puissances nucléaires comme Israël, le Pakistan et l’Inde, sans parler de l’ascension de l’anti-chiite Daech. Cette perception belligène de l’environnement stratégique de l’Iran est renforcée par la stratégie de l’Arabie Saoudite qui envisage sérieusement de développer un « programme nucléaire civil ». Dans le même temps, elle actionne le levier énergétique en abaissant les prix du pétrole pour mettre la pression sur son rival stratégique régional, l’Iran, qui établit son budget à partir d’un baril à 120 dollars. Or, il se situe actuellement sous la barre des 80 dollars.

Conservatisme et statu quo

Des conservateurs de part et d’autre se contentent du statu quo et poussent au clivage. D’un côté, le Guide Suprême de la Révolution islamique, l’ayatollah Khameiny, contribue largement à la poursuite du programme nucléaire iranien tandis que de l’autre côté, certains néoconservateurs américains aimeraient voir l’Iran noyé sous les sanctions jusqu’à l’abandon du programme nucléaire. Dans les négociations, la Russie et la Chine maintiennent une certaine pression pour conserver ce statu quo qui fait valoir leurs avantages respectifs en Iran. La Russie demeure le principal partenaire scientifique de la République islamique. La compagnie russe Rosatom signait, le 11 novembre dernier, un contrat de construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires dans la centrale iranienne de Bouchehr. Un pied de nez supplémentaire de Vladimir Poutine aux chancelleries européennes et américaines, sur fond de durcissement des relations occidentalo-russes à cause de la crise ukrainienne. La Chine, quant à elle, jouit du statut de premier partenaire commercial de l’Iran et entame avec Téhéran une coopération militaire (exercices militaires).

En somme, le dossier nucléaire iranien pourrait se révéler décisif pour Barack Obama. Cela pourrait être une des manières de redorer le bilan en demi-teinte du prix Nobel de la paix 2009, à l’issue de ces deux mandats à la Maison-Blanche. Après la défaite des démocrates aux midterms, il n’a plus rien à perdre. Le monde a, lui, tout à y gagner.


Peter Jackson, héraut du soft power néo-zélandais

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À l’occasion de la sortie du dernier film de la trilogie Le Hobbit de Peter Jackson le mercredi 10 décembre 2014, intéressons-nous aux liens entre l’œuvre cinématographique du réalisateur néo-zélandais et la composante intangible de la puissance des nations : le soft power. Cet archipel océanien de l’hémisphère sud, aux antipodes de l’Europe, est longtemps resté dans l’ombre. Célèbre pour son équipe de rugby légendaire – les All Blacks – la Nouvelle-Zélande demeure méconnue dans la majeure partie du monde. Dotée d’une minuscule puissance militaire et d’une population réduite (4,5 millions d’habitants), le « pays du long nuage blanc » semble avoir misé sur le cinéma pour briller dans le firmament des (desti)nations les plus attractives.

Le tampon néo-zélandais destiné au passeport des touristes associe ostensiblement la Nouvelle-Zélande à la Terre du Milieu

Le tampon néo-zélandais destiné au passeport des touristes associe ostensiblement la Nouvelle-Zélande à la Terre du Milieu

La Nouvelle-Zélande possède un des territoires les plus tardivement habités, appropriés et socialisés (XIIIe siècle) de la planète. Avec une densité d’environ 16 habitants au km2, le pays est marqué par une faible empreinte humaine. Ces deux facteurs expliquent en partie l’impression de virginité des paysages néo-zélandais exceptionnellement diversifiés et concentrés sur un espace restreint. Ils sont depuis plusieurs années considérés comme une véritable ressource stratégique pour l’économie de l’État océanien. Conscientes du potentiel d’attraction de l’archipel, les autorités néo-zélandaises ont décidé de décupler le tourisme vert traditionnel du pays en l’associant systématiquement aux blockbusters de Peter Jackson, exportés dans le monde entier.

Partez en Nouvelle-Zélande et découvrez la Terre du Milieu

C’est à peu près le message envoyé partout dans le monde par l’agence gouvernementale Tourism New Zealand grâce à sa campagne de promotion intitulée « 100 % Middle-Earth, 100 % Pure New Zealand ». Ici, le tourisme de découverte et le tourisme cinématographique s’entremêlent pour former l’idée que la Terre du Milieu, lieu imaginaire et féérique, trouve naturellement sa place en Nouvelle-Zélande. Cette opération de « nation branding » est soutenue par la compagnie aérienne Air New Zealand qui monte des campagnes publicitaires complètement imprégnées de la Terre du Milieu, incluant des acteurs comme Elijah Wood et Peter Jackson en personne. La visite des lieux de tournage, à l’image de la Comté reconstituée dans le parc Hobbiton, résulte d’une double stratégie de sanctuarisation et de magnification du territoire néo-zélandais, rendu mythique par le septième art. Une opération de séduction payante car depuis 2001, date de sortie de La Communauté de l’Anneau, le tourisme en Nouvelle-Zélande a augmenté de 67 %.

Le réalisateur Peter Jackson est le catalyseur de cette réussite tant à l’échelle locale, que nationale et mondiale. Avec l’établissement d’une filière cinématographique de pointe en Nouvelle-Zélande, bâtie autour des studios Weta Workshop et Weta Digital, le réalisateur dynamise l’emploi et l’économie locale autour d’un pôle d’innovation technologique : motion-capture, logiciel MASSIVE. Surtout grâce au tournage du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson a su réunir 3 conditions primordiales afin d’attirer les investissements étrangers : un système de subventions des productions filmiques réactivé, des démarches administratives simplifiées et une politique fiscale avantageuse (Large Budget Screen Grant). La Nouvelle-Zélande est ainsi devenue le nouvel eldorado pour Hollywood. Ce tropisme néo-zélandais a favorisé le tournage dans l’archipel de films à gros budget comme Le dernier Samouraï, Avatar, Le Monde de Narnia ou X-Men Origins : Wolverine en Nouvelle-Zélande.

Les films de Peter Jackson engendrent des retombées positives dans quatre domaines connectés : l’économie locale, le tourisme, l’industrie du film et le soft power de l’État néo-zélandais qui bonifie son image et sa réputation sur la scène internationale. Surtout, ce succès s’explique par la construction d’un complexe touristico-cinématographique inédit intégrant des offices gouvernementaux, la compagnie aérienne nationale et le fleuron de l’industrie filmique locale : Investment New Zealand, Film New Zealand, Tourism New Zealand, Air New Zealand et les studios de Peter Jackson. Assurément une réussite touristique, économique et politique, savamment construite autour d’un espace géographique merveilleux : la Terre du Milieu, une création imaginaire d’un ancien professeur d’Oxford, un certain John Ronald Reuel Tolkien, qui n’avait jamais mis les pieds… en Nouvelle-Zélande.

Rétrospective 2014 : l’Inde de Modi

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Assurément, l’Inde aura été marquée par l’élection de Narendra Modi au poste de Premier ministre en cette année 2014. Au sein de la République indienne, c’est lui qui tient de facto les rênes du pouvoir exécutif tandis que le président, Pranab Mukherjee, dispose d’un pouvoir formel et symbolique. Personnage controversé, il suscite l’espoir de millions d’Indiens mais aussi la défiance et la crainte dans la communauté musulmane du pays et dans la presse occidentale. Dans ce contexte de retour au pouvoir du BJP (parti nationaliste hindou), quels sont les grands axes annoncés de la politique de Modi qui façonne l’Inde de demain ?

La vague safran du BPJ a déferlé sur les élections indiennes. Ci-dessus, le drapeau du BPJ, le parti nationaliste hindou de Narendra Modi

La vague safran du BPJ a déferlé sur les élections indiennes. Ci-dessus, le drapeau du BPJ, le parti nationaliste hindou de Narendra Modi

Le 26 mai 2014, Narendra Modi était investi des fonctions de Premier ministre de l’Inde. Son parti, le Bharatiya Janata Party, retrouve la direction du gouvernement central après dix ans de domination du Congrès national indien au sommet de l’État. Au sein de la « plus grande démocratie du monde », les attentes et les espoirs entourant cette élection sont immenses. En effet, l’Inde possède la seconde population la plus importante après la Chine mais 59 % des Indiens vivent avec moins de 2 dollars par jour. La réduction drastique de la pauvreté est donc le premier objectif du nouveau Premier ministre indien. Pour cela, Modi entend redynamiser la croissance du pays (actuellement à 5 %) qui connaît un ralentissement depuis 2010 (plus de 10 %). Il s’agit du principal enjeu de son mandat car, en tant que grand émergent et puissance régionale, l’Inde ne peut pas se permettre de se passer d’une croissance élevée.

L’impératif est d’abord économique. La priorité consiste à industrialiser massivement le pays pour booster la croissance. C’est pourquoi l’administration Modi prévoit de développer les infrastructures insuffisantes du pays, d’amorcer le grand chantier de la simplification administrative nationale et régionale (véritable serpent de mer indien) et d’assouplir le carcan juridique indien. Les IDE sont les bienvenus pour l’homme d’affaires Modi mais l’implantation de grandes compagnies étrangères sur le sol indien est vue d’un mauvais œil par le nationaliste Modi, adepte du patriotisme économique. En matière de défense et de politique étrangère, l’homme du Gujarat (l’État ouest-indien qu’il administrait depuis 2001) souhaite une Inde forte et indépendante. Il souhaite augmenter sa coopération avec ses partenaires asiatiques comme le Japon et Singapour mais tend aussi la main au rival chinois. Avec le voisin pakistanais, Modi adopte une attitude ferme mais non hostile.

Modi, l’incarnation du smart power à l’indienne. 

Sa campagne présidentielle, conduite d’une main de maître, et ses talents d’orateur démontrent que le nouvel homme fort de l’Inde fascine presque plus qu’il ne fait peur. À la fois stratège de la communication, homme d’affaires pragmatique et nationaliste hindou, il possède les qualités d’un grand chef d’État. Surtout, Narendra Modi a compris qu’il lui fallait user de l’ensemble des outils du smart power pour faire émerger une Inde nouvelle qui concilie vastes programmes d’importations d’armes et diplomatie culturelle via Bollywood et son ministère du yoga et de l’Ayurveda. Son succès dépendra de sa capacité à fédérer plus qu’à marginaliser tout en se prémunissant des ultras islamophobes de son parti. Avec Modi, l’histoire de l’Inde opère un virage périlleux. Pour le meilleur ou pour le pire, personne ne saurait le dire. Sans aucun doute, une nouvelle Inde avec laquelle il faudra compter.

Afghanistan, le départ français

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L’année 2014 s’achève, l’année 2015 débute. La page est tournée pour l’armée française dont le dernier contingent quitte l’Afghanistan. Après treize ans de présence sur le sol afghan, les forces armées françaises ont achevé leur mission dans le cadre de celle de l’OTAN. Combats, formation, missions de sécurisation, renseignement… Les soldats français ont tout fait et ils n’ont pas été épargnés : 89 morts et 700 blessés ce qui revient à 1 soldat français sur 100 engagés sur le théâtre afghan. Des chiffres qui ne prennent pas en compte d’autres blessures moins visibles de l’ordre des traumatismes mentaux. Depuis 2001, l’engagement militaire français en Afghanistan aurait coûté près de 2,5 milliards d’euros, sans comptabiliser les coûts post-intervention. L’addition est élevée. Pour quels résultats ?

Ci-dessus la plaque commémorant le sacrifice des 89 soldats français morts en Afghanistan

Ci-dessus la plaque commémorant le sacrifice des 89 soldats français morts en Afghanistan

Le 31 décembre 2014 mettait fin à l’opération Pamir qui consistait principalement en la sécurisation de la région de Kaboul, le commandement de l’aéroport international de la capitale et la formation de militaires afghans par les forces françaises. Le retrait des troupes françaises s’inscrit dans l’achèvement de la mission de l’ISAF (Force internationale d’assistance et de sécurité) de l’OTAN. La mission otanienne Resolute Support prend le relais jusqu’en 2017. Dotée d’une force de 12 500 soldats principalement américains, elle est chargée de poursuivre la formation des forces afghanes et de les soutenir dans leurs opérations contre-terroristes.

Que retenir de ces treize années de guerre déclenchées à la suite des attentats du 11 septembre 2001 ?

En matière de sécurité, les résultats sont mitigés. Les Talibans ont certes reculé, écartés des grandes villes et des principaux axes de communication. En outre, les forces coalisées ont permis de mettre sur pieds de véritables forces de sécurité et de défense (environ 350 000 hommes, armée et police confondues, sans compter les milices d’autodéfense) pour lutter contre l’insurrection talibane. Toutefois, à mesure que les forces américaines et otaniennes se retirent du pays, les Talibans tendent à intensifier de nouveau leurs attentats et leurs assauts contre les forces régulières afghanes qui payent un lourd tribut. En 2014, leurs pertes dépassent les 4 500 morts : un triste record.

En termes de lutte contre le narcotrafic, ce bilan en demi-teinte laisse place à un échec total. La production d’héroïne, tirée de la culture des champs de pavot afghans, n’a jamais été aussi massive : plus de 6 400 tonnes en 2014. L’Afghanistan demeure un narco-État largement corrompu et assis sur des fondements économiques fragiles. Sans l’aide financière des États-Unis et de l’OTAN, le président Ashraf Ghani ne peut pas entretenir son armée, seul rempart contre la guerre civile sous-jacente à la guérilla talibane. Or, le matériel militaire américain mis à disposition des forces afghanes s’use rapidement et, à moyen terme, le sous-équipement menace l’opérabilité des troupes régulières du pays. De plus, l’évacuation des soldats internationaux contribue à miner le moral des forces afghanes, privées d’un précieux soutien ; la bataille psychologique est en passe d’être remportée par les Talibans dont la marge de manœuvre est considérablement augmentée.

Dans ces conditions délicates, un retour en force des Talibans, venant combler le vide stratégique laissé par le départ de l’ISAF, ne peut être écarté. Les militaires français ont terminé leur mission, semble-t-il. Les Afghans ne font que la commencer…

Le pape François au Sri Lanka

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Mardi 13 janvier 2015, le pape François débute son 7ème voyage en dehors d’Italie en se rendant à nouveau en Asie. Après le Brésil, le Proche-Orient (Israël, Palestine et Jordanie), la Corée du Sud, l’Albanie, la France (institutions européennes de Strasbourg) et la Turquie, le pape d’origine argentine poursuit sa mission dans une terre insulaire, aux marges de la communauté catholique. Sa Sainteté se rend à Colombo, la capitale du Sri Lanka, avant de poursuivre son périple aux Philippines, archipel asiatique avec lequel il partage des racines communes, empreintes de catholicisme latino-américain.

Jorge Mario Bergoglio est le premier pape originaire du continent américain

Jorge Mario Bergoglio est le premier pape originaire du continent américain

Le pape François débute l’année 2015 par un nouveau voyage en Asie alors qu’il n’a pas encore rendu visite au continent africain. Sa culture jésuite explique en partie ce choix étrange : le Sri Lanka ne renferme qu’une minorité de catholiques (environ 7 % de la population) et la tradition des missionnaires jésuites imprègne l’action du pape qui souhaite toucher prioritairement les populations aux confins du catholicisme et non en son centre. En outre, l’Afrique n’offre pas actuellement les conditions sécuritaires suffisantes pour accueillir le pape et pour l’instant aucun séjour pontifical n’y est prévu.

L’arrivée du pontife à Ceylan est l’occasion idéale pour annoncer un message de paix et de réconciliation aux Sri Lankais d’abord, au monde entier ensuite. Après une année 2014 particulièrement troublée par l’augmentation de la violence armée dans de vastes zones sur tous les continents, le choix du Sri Lanka semble tout à fait judicieux. En effet, après 37 ans de guerre civile ayant causé plus de 100 000 morts, le Sri Lanka demeure un État clivé entre les populations tamoule et cinghalaise. Or, les catholiques du pays appartiennent aux deux communautés. La diplomatie vaticane mise sur ses ouailles sri lankaises pour former le trait d’union entre deux peuples qui s’affrontent depuis que les colons britanniques les ont divisés pour mieux régner. C’est donc en médiateur respecté et écouté que se présente le pape François.

Notons que le voyage du Saint-Père s’inscrit dans un contexte de transition politique au sommet de l’État sri-lankais. En effet, le 8 janvier 2015, Maithripala Sirisena devenait le nouveau président du Sri Lanka, en succédant au président sortant Mahinda Rajapaske, le vainqueur nationaliste bouddhiste de la rébellion des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) en 2009. L’ancien président a accepté sa défaite et la transition s’est déroulée sans heurts majeurs ce qui est suffisamment rare dans le capitale pour être mentionné.

Le calme après la tempête, une incongruité sri-lankaise…

Ce double événement, formé par l’élection du nouveau président sri-lankais et la visite du pape François, représente le symbole d’un nouveau départ pour une nation encore meurtrie par la guerre civile. Le souverain pontife a d’ailleurs appelé le peuple sri-lankais et ses autorités à faire la lumière sur les atteintes aux droits de l’homme, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés durant le conflit par les deux belligérants. Autre symbole d’apaisement et d’espoir pour les habitants de l’antique Taprobane (comme la nommaient les Grecs anciens), la canonisation du missionnaire Joseph Vaz qui devient ainsi le premier saint du Sri Lanka, 3 siècles après son décès en 1711, à Kandy dans le massif montagneux du centre de l’île. Il s’agit là bien d’un symbole dans son sens étymologique d’union, de rassemblement et de réconciliation. Assurément un message de paix et d’espoir qui touche tous les Sri-lankais, tous les catholiques et au-delà l’ensemble de la communauté internationale…

La République démocratique du Congo en crise

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Lundi 19 janvier 2015, le Parlement congolais adoptait le projet de loi électorale qui divise le pays. Dans la capitale de la RDC, Kinshasa, des manifestants tentaient alors d’occuper les lieux du pouvoir législatif tandis qu’à Goma dans l’est, de nombreuses personnes bloquaient des rues en signe de mécontentement. Tous souhaitent voir l’actuel président Joseph Kabila quitter le pouvoir au terme de son second mandat, à la fin de l’année, comme l’exige la constitution. Or, la modification de la loi électorale semble être un subterfuge pour prolonger le mandat de Kabila, au sommet de l’État congolais. La révolte qui gronde dans le pays est réprimée par la force. La police anti-émeute a tiré à balle réelle sur la foule, faisant au moins 4 morts.

La RDC, un pays africain immense et riche en matières premières, au coeur de la région des Grands Lacs

La RDC, un pays africain immense et riche en matières premières, au coeur de la région des Grands Lacs

La nouvelle loi électorale conditionne la tenue des prochaines élections législatives et présidentielles en République démocratique du Congo, prévues pour 2016, au recensement préalable de la population nationale. A priori rien de problématique. Cependant, la RDC est un immense pays dont la superficie est supérieure à 4 fois celle de la France. Les infrastructures de communication y sont par endroit déplorables voire inexistantes ce qui complique grandement une opération de recensement général. À cela s’ajoute la guerre que mènent différents groupes rebelles dans l’est du pays et qui empêche de facto le bon déroulement du comptage des habitants qui vivent parfois à plusieurs kilomètres de la première piste dans la forêt équatoriale. Dans ces conditions extrêmes, le recensement de la population congolaise prendrait au moins 3 ans, et encore, les autorités pourraient reporter le comptage dans la région des Kivus, en prétextant une situation sécuritaire inadéquate à son bon déroulement.

Cette révision constitutionnelle de circonstance, justifiée par un besoin soudain et irrépressible de recenser la population congolaise, permet en vérité de prolonger indéfiniment le mandat de Joseph Kabila qui a, par ailleurs, tout intérêt à maintenir une situation d’insécurité aggravée dans la partie orientale du pays pour rallonger la durée du recensement. Assurément un stratagème politique dont le but est la prolongation du mandat présidentiel, en infraction à la constitution du pays, relative aux deux mandats présidentiels consécutifs maximum autorisés. Cette posture politique court-termiste engage la RDC dans le péril de la balkanisation, compte tenu de la perte de contrôle de l’État central sur les Kivus. Ce territoire, gorgé de minerais stratégiques comme la cassitérite et le coltan, est une zone grise aux mains d’une nébuleuse de groupes criminels et rebelles : les rebelles rwandais hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les rebelles burundais hutus des Forces nationales de libération (FNL), le groupe ougandais islamiste nommé Forces démocratiques alliées (ADF) et les insurgés ougandais d’inspiration chrétienne de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), pour ne citer qu’eux.

L’impuissance, pour ne pas dire l’inaction, du gouvernement face à ces groupes armés – appelés « forces négatives » par Kinshasa – qui tyrannisent la population est tout à fait criante. À vrai dire, les Forces armées de la République démocratiques du Congo (FARDC) sont largement sous-payées quand elles le sont, en plus d’être infiltrées par les anciens combattants congolais d’origine rwandaise tutsie du M23. Par conséquent, l’armée congolaise participe à et profite de cet engrenage vicieux de corruption, d’abus de pouvoir sur les populations (taxes, sévices) et de trafic frontalier avec le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Son intérêt n’est donc pas la cessation des hostilités, bien au contraire.

La RDC au bord du gouffre : une crise politique qui pourrait déraper en guerre civile

Le président Kabila ordonnait en début de semaine de couper internet et les antennes relais de téléphonie mobile. Cette décision est prise pour empêcher la propagation de la révolte montante. Elle doit être comprise comme une opération classique d’infoguerre dans laquelle l’Etat congolais désigne ses opposants politiques (et donc des pans entiers de la société congolaise) comme un ennemi que l’on doit priver de moyens de communication. Des opérations de contre-révolution sont menées par les forces gouvernementales à l’image de l’arrestation et du musèlement des leaders de l’opposition, Jean-Claude Muyambo et Vital Kamerhe.

En attendant, la MONUSCO se prépare à engager une opération militaire contre les FDLR, décidée à l’ONU le 9 janvier, tandis que Moïse Katumbi, riche gouverneur de la prospère province cuprifère du Katanga dans le sud-est du pays, brigue la présidence congolaise sans pour autant l’affirmer ouvertement. Après le Burkina Faso, voilà la RDC dans la spirale du soulèvement populaire. Serait-ce les prémisses de Printemps africains ?

Quels enjeux pour la Russie en Ukraine ?

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Samedi 31 janvier 2015 à Minsk, les négociations portant sur un cessez-le-feu et un retrait des armes lourdes de l’Ukraine orientale ont échoué. Les pourparlers entre les autorités de Kiev et les représentants des forces séparatistes prorusses du Donbass n’ont pas permis une entente sur les prémisses d’un processus de paix. Après les récents bombardements de la ville de Marioupol, le bilan humain du conflit ukrainien dépasse les 5 000 morts. Dans de précédents articles, nous avons mis au jour les ingérences étrangères dans la crise ukrainienne ainsi que les raisons historiques de l’implication de la Russie. Concentrons-nous désormais sur les enjeux militaires et énergétiques au cœur des rivalités de puissance en Ukraine.

L'Ukraine, un territoire au coeur de la géopolitique des tubes

L’Ukraine, un territoire au coeur de la géopolitique des tubes

L’Ukraine, un maillon indispensable au complexe militaro-industriel russe

Vladimir Poutine a engagé un vaste programme de modernisation, de privatisation/rationalisation et de refonte de l’industrie de défense russe. Ce plan vient pallier la décennie 1990 lors de laquelle l’administration Eltsine avait effectué des coupes drastiques dans le budget de la défense, empêchant tout renouvellement d’armement et accélérant l’obsolescence de l’outil militaire russe. Le pari de Poutine est d’utiliser les nouveaux conglomérats russes, champions de l’industrie de défense, comme un levier pour moderniser l’ensemble du secteur industriel du pays, grâce à l’effet d’entraînement. Or, la base industrielle et technologique de défense (BITD) de la Russie repose en grande partie sur les usines ukrainiennes dont la localisation est héritée de la période soviétique.

Tributaire de cette organisation spatiale, l’État russe demeure dépendant de l’entreprise ukrainienne Zorya-Mashproekt (située dans le sud de l’Ukraine) pour la fabrication des turbines à gaz qui équipent ses bâtiments de marine. Dans l’oblast de Dniepropetrovsk, non loin de Donetsk, le bureau d’études Youjnoyé conçoit les lanceurs spatiaux russes et participent à la maintenance des missiles stratégiques intercontinentaux de son grand voisin. Au sein de l’oblast de Zaporojie, majoritairement russophone, la firme Motor-Sich fournit l’armée russe en moteurs pour hélicoptères. Enfin, l’industriel Antonov de la région de Kiev, spécialiste en avions militaires de transport, a suspendu toutes ces livraisons à destination de Moscou, compte tenu de la guerre dans l’est du pays. Pour Moscou, mettre la main sur ces usines de production d’armement reviendrait à garantir ses approvisionnements en matériel militaire, pièce maîtresse de sa stratégie industrielle et garant de sa défense nationale. L’annexion de la Crimée a d’ailleurs permis la réintégration dans le giron russe de la base militaire de Sébastopol, tout comme des chantiers navals de Théodosie et de Kertch.

Les hydrocarbures ukrainiens convoités

Dans la presqu’île criméenne, les forces russes assurent le contrôle de la mer Noire, véritable hub énergétique au carrefour des gazoducs et oléoducs reliant la mer Caspienne, la Russie, le Moyen-Orient et l’Europe. En récupérant la Crimée, le Kremlin s’est octroyé le principal fournisseur d’électricité de la péninsule, Krimenergo, et surtout la compagnie Chernomorneftegaz qui exploite les champs gaziers et pétroliers offshore en mer d’Azov et en mer Noire. Chernomorneftegaz a d’ailleurs été la cible de sanctions américaines dès avril 2014. Dans l’est de l’Ukraine cette fois, ce sont les hydrocarbures de schiste qui sont convoités par les puissances étrangères. Dans le nord de l’oblast de Donetsk, à quelques kilomètres des zones de conflit, les puits et les espaces de forage de Yuzivska sont protégés par des hommes armés. Le groupe hollandais Shell a renoncé à exploiter le gaz de schiste en Ukraine pour des raisons sécuritaires. Mais l’entreprise Burisma Holdings qui se définit comme une « compagnie indépendante de pétrole et de gaz », elle, l’exploite bel et bien. L’entreprise revendique une croissance de production de 90 % et 25 % de part de marché en Ukraine. Or, l’équipe de direction de l’entreprise est composé notamment d’Hunter Biden, le fils de Joe Biden, l’actuel vice-président des États-Unis, de Devon Archer, un ancien membre de l’équipe de campagne de John Kerry, l’actuel secrétaire d’État américain et enfin d’Aleksander Kwasniewski, ancien président de la république de Pologne.

L’Ukraine semble de plus en plus être une victime collatérale du bras de fer entre Washington et Moscou. Une joute géopolitique qui implique des intérêts militaires et énergétiques hautement stratégiques…

Rosatom, le champion russe du nucléaire

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Mardi 10 février 2015, Vladimir Poutine effectue une visite d’État en Égypte, la seule dans ce pays depuis 2005. Le président russe a été reçu au Caire par son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi. Les 2 chefs d’État ont convenu de poursuivre leur coopération militaire et de renforcer leurs partenariats concernant l’énergie, les investissements et le tourisme. Surtout, un protocole d’entente a été signé au sujet de la construction d’une centrale nucléaire destinée à la production d’électricité sur le site d’Al-Dabaa, à l’ouest d’Alexandrie. L’Agence fédérale de l’énergie atomique russe Rosatom a remporté le contrat.

Rosatom, la conglomérat de l'Etat russe est le leader mondial du nucléaire

Rosatom, la conglomérat de l’Etat russe est le leader mondial du nucléaire

Cette rencontre a lieu dans un contexte difficile pour les 2 hommes : Poutine fait face aux sanctions euro-américaines et à la chute du prix du pétrole qui minent l’économie russe (dépréciation brutale du rouble) tandis que le président Sissi s’inquiète de la montée des forces djihadistes et du chaos sécuritaire dans lequel est plongée la Libye voisine et qui tend à se propager au pays des pharaons (vague d’attentats au Caire et dans le Sinaï). Le soutien du chef du Kremlin au groupe Rosatom s’inscrit dans la stratégie de diversification des partenaires de la Russie. Face aux sanctions des Européens et des Américains, Moscou réoriente sa diplomatie économique vers les nouveaux émergents et renforce ses liens avec des partenaires traditionnels comme l’Inde. Une stratégie de repli qui contribue à construire le monde multipolaire que Poutine appelle de ses vœux et au sein duquel il positionne la Russie en tant que centre influent.

Rosatom se pose en leader du nucléaire mondial. Le conglomérat est présent dans l’ensemble de la filière nucléaire, de l’extraction d’uranium à la maintenance des installations et à la gestion des déchets nucléaires. Rosatom, c’est un réacteur nucléaire sur six dans le monde. Il dispose d’un carnet de commandes impressionnant en 2014 : 23 réacteurs nucléaires sont actuellement en construction tandis que 26 autres sont en cours de négociation ou d’appel d’offres et 32 à l’étude. Au total, Rosatom engrange un total de 100 milliards de dollars en 2014 (en augmentation de 36 % sur un an) grâce à son portefeuille de commandes exceptionnel, comparé aux 6 réacteurs construits actuellement par son concurrent français Areva. Selon le directeur général de Rosatom, cette manne représente 10 ans de revenus sécurisés pour le groupe. En outre, Rosatom bénéficie du soutien inconditionnel du Kremlin qui lui a commandé 9 réacteurs et qui n’a pas hésité à placer son champion du nucléaire dans sa liste des 199 entreprises les plus stratégiques pour la Russie et qui sont par conséquent éligibles au plan anti-crise de 30 milliards d’euros mis en place par Moscou.

Notons que Rosatom ne figure pas sur la liste noire occidentale et ne fait donc l’objet d’aucune sanction. Même le conflit ukrainien ne l’arrête pas. La holding poursuit en effet ses livraisons de combustibles nucléaires en Ukraine et Kiev s’acquitte de son règlement. Malgré Fukushima, de nombreux pays sont tentés de se lancer dans la production d’énergie nucléaire pour répondre à leurs besoins croissants en électricité. C’est le cas du Bangladesh et du Vietnam qui ont commandé 2 réacteurs nucléaires chacun. Dans ces États, Poutine officie en représentant de Rosatom et propose des conditions séduisantes et inédites dans ce secteur si stratégique : des facilités de financement et surtout une prise en charge complète de la centrale nucléaire via sa filiale Rosatom Overseas. Cette dernière propose en effet des contrats spéciaux dits « build-own-operate » (construire-détenir-exploiter) qui font de Rosatom – et donc indirectement de l’État russe – le propriétaire de centrales nucléaires à l’étranger.

Par son intégration et sa maîtrise complètes de la filière nucléaire et sa présence effective aux quatre coins du monde, Rosatom s’impose en tant que leader du nucléaire à l’échelle mondiale. Pour Moscou, Rosatom est plus qu’une simple entreprise. Il s’agit de son bras armé, géopolitique et géoéconomique, qui lui permet de pénétrer les marchés étrangers, de s’y implanter durablement et de bâtir un lien de dépendance en faveur du Kremlin entre les États cibles et la Russie.


Vers une nouvelle intervention en Libye ?

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Mercredi 18 février 2015, une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies concernant la Libye a lieu en réponse à l’appel lancé par le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Ce dernier réclame une intervention militaire internationale en Libye pour y éradiquer la menace terroriste djihadiste. Il demande également la levée de l’embargo sur les armes qui empêche le gouvernement de Tobrouk, reconnu par l’ONU, de se fournir en armement. Cette réunion se tient à New York, le lendemain des raids aériens menés par l’Égypte contre les positions de Daech, désormais implanté en Libye.

Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien possède un rôle clé dans la lutte contre Daech en Libye

Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien possède un rôle clé dans la lutte contre Daech en Libye

La Libye connaît une grave crise politique et sécuritaire, déclenchée en 2011 à la suite des Printemps arabes et de l’intervention otanienne. La chute de Kadhafi a abouti à des élections libres dans le pays mais rapidement les autorités libyennes se sont retrouvées débordées par les affrontements entre milices rivales qu’elles n’ont pas réussies à désarmer. Profitant du chaos sécuritaire ambiant, Daech s’est implanté en Libye et a commencé à revendiquer des attentats commis en Libye mais aussi en Égypte, dans le Sinaï. Dimanche 15 février, l’organisation terroriste diffusait une vidéo montrant l’exécution de 21 Égyptiens chrétiens (coptes) ce qui provoqua en représailles les frappes aériennes égyptiennes sur les positions de Daech, dans la ville de Derna en Libye.

L’Égypte, menée par al-Sissi, se situe aujourd’hui à l’avant-garde du combat contre Daech. Pour des raisons de sécurité nationale, le président égyptien se doit de faire face à la menace djihadiste en engageant le combat contre l’organisation terroriste. Dans cette optique, il a signé en un temps record un contrat de vente avec la France incluant la livraison de 24 Rafales. En effet, l’Égypte est victime d’une vague d’attentats au Caire notamment mais aussi en Somalie où une délégation égyptienne a été visée ainsi que dans le Sinaï. Le pays est de fait encerclé par des éléments hostiles provenant de l’est (Sinaï) ainsi qu’à sa frontière ouest (Libye). En outre, al-Sissi se doit d’être ferme pour des raisons personnelles de légitimité puisqu’il est arrivé assez récemment au pouvoir par un coup d’État. Enfin, ce sont des raisons politiques qui le poussent à agir puisque ces ennemis sont les Frères musulmans, un parti politique islamiste rigoriste dont les éléments plus radicaux sont partis combattre en Libye, après la chute du président Morsi.

 Qui se battra aux côtés de l’Égypte ?

Toutefois, malgré son statut de première puissance militaire arabe, l’Égypte n’envisage pas de mener ce combat seule. L’Italie a dores et déjà répondu positivement à son appel. Rome a proposé de projeter une force de 5 000 hommes en réponse au risque de fusion entre les milices locales libyennes et Daech. Située à 500 km du littoral libyen, l’Italie est un des pays les plus exposés aux flux massifs de migrants clandestins en provenance de la Libye, devenue une plateforme internationale de départ et de transit de l’immigration illégale. La France, par l’intermédiaire du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, plaide pour une mobilisation internationale urgente. En effet, la force française Barkhane s’efforce de faire reculer les terroristes dans le cadre du « G5 Sahel » mais se trouve désormais prise en tenaille au Niger et au Tchad entre au nord, Daech en Libye et au sud, Boko Haram au Nigéria. Les deux organisations djihadistes sont en passe d’établir deux sanctuaires terroristes, d’où l’importance du dispositif Barkhane qui limite pour l’instant leur jonction par les États pivots que sont le Niger et le Tchad.

Les principaux États européens et les États-Unis préfèrent une solution politique à la crise libyenne mais n’ont pas engagé de réelles actions en ce sens. Au contraire, le fait d’avoir reconnu un des deux gouvernements du pays (en l’occurrence celui de Tobrouk et non celui de Tripoli) n’a fait qu’aggraver la déchirure du pays ce qui fait le jeu de Daech. La solution militaire semble nécessaire à court terme pour empêcher la constitution d’un sanctuaire terroriste sous le contrôle de Daech en Libye mais seule la solution politique, par le dialogue et les négociations, incluant tous les acteurs de l’échiquier politique libyen paraît à même de ramener la paix en Libye.

Equation, le géant du cyberespionnage

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Lundi 16 février 2015, Kaspersky Lab, une société russe de cybersécurité, organisait le Kaspersky Lab Security Analyst Summit à Cancún au Mexique. Ce sommet international réunit les meilleurs chercheurs et industriels en matière de technologies de l’information ainsi que des experts de la cybercriminalité. Kaspersky Lab en a profité pour dévoiler les avancées de ses investigations dans la lutte contre les cyberattaques. L’entreprise russe a découvert l’existence du groupe de hackers le plus sophistiqué connu à ce jour. Elle l’a baptisé : Equation.

La NSA pourrait être derrière le groupe de cyberespionnage Equation

La NSA pourrait être derrière le groupe de cyberespionnage Equation

Kaspersky Lab est le 3ème éditeur mondial d’anti-virus pour les particuliers. La compagnie a développé une expertise reconnue mondialement en cybersécurité. En 2008, elle crée en son sein une équipe dédiée à la recherche, la veille et l’analyse des nouvelles menaces cybernétiques. C’est cette équipe, le GReAT (Global Research & Analysis Team), composée de 35 experts répartis géographiquement et par domaine de compétence, qui a découvert le groupe Equation. Costin Raiu, le directeur du GReAT, désigne le groupe Equation comme étant de loin le champion du monde des hackers, du jamais vu en termes de sophistication, d’où le nom « Equation » donné par Kaspersky Lab à ce mystérieux groupe.

Depuis environ 20 ans, Equation développe dans l’ombre des logiciels malveillants, des malwares diffusés non pas sur Internet mais via des clés USB. Le groupe opère dans le plus grand secret dans de nombreux pays. Ses cibles favorites sont l’Iran, la Russie, la Chine, l’Afghanistan, le Pakistan et la Syrie parmi une trentaine d’États touchés. Sont visés aussi bien des gouvernements, des institutions diplomatiques, des banques, des médias, les secteurs énergétique, nucléaire et militaire que des filières d’activistes islamistes. Equation aurait élaboré différents vers informatiques au fil des ans à l’image de Fanny. Cette cyberarme s’apparente au virus Stuxnet. En s’implantant dans le disque dur d’un ordinateur, Fanny permet de récupérer l’intégralité de ses données. Impossible de l’en déloger car le ver est conçu pour résister au reformatage du disque dur. Fanny est donc une APT (Advanced Persistent Threat) c’est-à-dire une menace informatique contre laquelle il n’existe pas d’anti-virus à ce jour.

Qui se cache derrière Equation ?

Un faisceau d’indices semble désigner un responsable : les États-Unis et plus particulièrement la NSA (National Security Agency). Tout d’abord, les cibles préconisées par les cyberattaques sont presque toujours des ennemis ou des rivaux stratégiques des États-Unis à l’image de l’Iran, de la Russie et des réseaux djihadistes. Ensuite, le type même de l’arme cybernétique et de son chiffrement (code) est si semblable à de précédents vers informatiques (Stuxnet, Flame) que l’organisation en charge du développement de Fanny est soit la même que celle de Stuxnet, soit travaille en étroite collaboration avec elle. Enfin, ce genre de cyberattaques n’est en aucun cas un acte de vandalisme cybernétique (destruction) ou mafieux (recherche d’un gain financier). Il s’agit manifestement d’un programme de cyberespionnage ciblé à l’échelle planétaire.

Kaspersky Lab se garde bien d’accuser la NSA. Toutefois, les soupçons sont lourds. Les cibles, le mode opératoire, la complexité du ver informatique et l’étendue géographique de l’opération désignent l’agence américaine. Ce ne serait pas le premier programme de cyberespionnage de la NSA. En effet, en 2010, dans le cadre de l’opération Olympic Games, la NSA et l’unité 8 200 d’Israël recourraient au ver informatique Stuxnet pour désorganiser et retarder le programme nucléaire iranien. La découverte d’Equation a lieu alors que l’affaire Snowden a éclaboussé la NSA (dispositif d’écoutes à l’échelle mondiale) et que la Maison-Blanche a décidé de fortifier son dispositif de lutte contre les cyberattaques en créant le Centre d’intégration du renseignement sur les cybermenaces (CTIIC), sur le modèle du centre national de lutte contre le terrorisme, né après les attentats du 11 septembre 2001. Coïncidence ou non, Kaspersky Lab a démontré que le groupe Equation avait connu une recrudescence d’activité à partir de 2001…

Spratleys, des îles pas comme les autres

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Spratleys. Ce nom vous est sans doute inconnu puisqu’il désigne une centaine d’îlots immergeables, d’atolls et de récifs coralliens, perdus en plein milieu de la mer de Chine méridionale. Cumulés, ces petits morceaux de récifs inhabités atteignent à peine la surface de 5 km2, répartis sur une zone maritime bien plus vaste de 410 000 km2. Rien de bien intéressant. Et pourtant tous les géostratèges du sud-est asiatique se disputent ces îlots, au point qu’une véritable course à l’accaparement des territoires îliens est lancée entre le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, le Bruneï, Taïwan et bien sûr… la Chine.

Le récif de Fiery Cross est devenu une île artificielle en forme de porte-avions chinois

Le récif de Fiery Cross est devenu une île artificielle en forme de porte-avions chinois

Les revendications territoriales sur l’archipel des Spratleys sont anciennes mais les différends entre les pays riverains de la mer de Chine méridionale ont connu une recrudescence à partir de 1978, date à laquelle les Philippines s’emparent de 8 îles. Puis, c’est le tour de la Malaisie d’accaparer 3 îlots en 1983 tandis que le Vietnam mène une campagne d’appropriation d’une quinzaine de récifs îliens entre 1978 et 1988. Même le Bruneï se déclare souverain sur le récif Louisa et les eaux l’entourant en 1992. La Chine s’intéresse assez tardivement aux Spratleys en bâtissant des installations sur 7 îlots en 1987. La donne change toutefois lorsque le parlement chinois vote une loi affirmant la souveraineté de la République populaire de Chine sur l’ensemble de l’archipel en 1992. Les intrusions chinoises dans la zone se sont multipliées et aujourd’hui Pékin entend étendre son pré carré non seulement à l’ensemble des Spratleys mais aussi à l’intégralité de la mer de Chine méridionale.

Le magazine américain IHS Jane’s Defense Weekly levait à l’automne 2014 une partie du voile masquant les intentions chinoises dans l’archipel en diffusant des photos satellites. Ces clichés montrent la construction d’îles artificielles par Pékin dans les Spratleys. Grâce à un gigantesque navire dragueur baptisé Tianjing Hao (128 m de long), les ouvriers et les marins chinois remblaient les récifs avec des milliers de tonnes de sable et de terre puis consolident les polders par des plateformes bétonnées. Les photos satellites révèlent que sur le récif de Hughes, la Chine ne disposait que d’une plateforme de 380 m2 en février 2014. Or aujourd’hui, l’île atteint une surface de 75 000 m2 et des chantiers d’installations militaires y sont clairement visibles.

Sur l’île de Fiery Cross, le remblayage intensif nuit et jour a permis de créer ex nihilo une piste d’atterrissage de 3 000 m de long ce qui lui donne l’allure d’un porte-avions. Sur chacun des récifs chinois, la configuration est la même : extension territoriale de l’îlot puis consolidation et fortification. Dans les Spratleys, c’est un véritable dispositif militaire aéronaval que l’Armée populaire de Chine est en train de développer : héliports, tours de défense antiaérienne, port militaire, forts abritant des garnisons permanentes et pistes d’envol pour avions de chasse. Ces bases maritimes permettront tant la projection de forces en Asie-Pacifique que le renforcement du système de défense A2/AD (Anti-Access/Area Denial), stratégie du déni d’accès garante de la sanctuarisation du territoire chinois.

Pourquoi les Spratleys sont-elles si stratégiques ?

Cette muraille océane de Chine en construction sert bien entendu un faisceau d’intérêts stratégiques. En effet, la République populaire de Chine possède un territoire immense mais en majorité enclavé, hormis sa façade maritime orientale. Il en résulte que Pékin dispose d’une zone économique exclusive réduite (environ 880 000 km2) par rapport à son grand rival stratégique – les États-Unis – dotés de la ZEE la plus étendue au monde (12 millions de km2). Dominer les Spratleys lui permettrait d’augmenter sa ZEE de moitié et assurerait son autorité de fait sur la quasi intégralité de la mer de Chine méridionale soit 3,5 millions de km2. En outre, les armateurs chinois bénéficieraient des abondantes réserves halieutiques de la région qui regorgent de ressources naturelles minières (nodules polymétalliques dans les fonds marins) et énergétiques (pétrole et surtout gaz). Rappelons également que 90 % du commerce extérieur chinois et 30 % du commerce mondial transitent dans cette zone géostratégique tout comme plus de 50 % des hydrocarbures, en provenance des pays du Golfe arabo-persique vers l’Asie du Nord-Est. L’archipel des Spratleys s’insère donc tout naturellement dans la stratégie du collier de perles chinois qui consiste à contrôler les principaux détroits (Malacca, Sonde) et à déployer bases navales et ports commerciaux dans l’Océan indien et la mer de Chine méridionale pour sécuriser les voies d’approvisionnements et d’exportation de la Chine.

À la lumière des quelques faits présentés, il semble peu étonnant que les pays riverains de la mer de Chine méridionale s’arrachent les îles Spratleys et les militarisent rapidement. Cette course aux territoires ultramarins consiste en une prise de position géostratégique et une ruée vers les matières premières. Ces quelques atolls coralliens perdus dans l’océan représentent d’ores et déjà un foyer de tensions internationales à surveiller de près.

Venezuela en crise, les pleins pouvoirs pour Maduro

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Dimanche 15 mars 2015 à Caracas, le président du Venezuela Nicolas Maduro obtenait de l’Assemblée nationale des pouvoirs spéciaux. Ce vote permet au chef d’État vénézuélien de gouverner par décret jusqu’à la fin de l’année. C’est la 2ème fois que Nicolas Maduro a recours à ce procédé pour administrer son pays pour ne plus avoir à solliciter le parlement vénézuélien. Cette décision a lieu dans un contexte politique, diplomatique, économique et social particulièrement difficile pour le Venezuela.

L'affrontement à distance entre Nicolas Maduro et Barack Obama

L’affrontement à distance entre Nicolas Maduro et Barack Obama

Le Venezuela est plongé dans la crise. Une conjugaison de facteurs l’explique. Tout d’abord, ce pays sud-américain est frappé de plein fouet par la chute du prix du baril de pétrole. En pays rentier, le budget de la république bolivarienne est complètement dépendant des revenus de PDVSA, la compagnie pétrolière nationale, un véritable État dans l’État. Or, le pétrole vénézuélien a pour caractéristique d’être lourd et issu de sables bitumineux. Son raffinage nécessite des opérations plus poussées et donc plus coûteuses que pour le pétrole dit conventionnel. Résultat : avec un prix du baril sous la barre des 60 dollars, l’exploitation du pétrole vénézuélien n’est plus rentable. Privée des recettes des hydrocarbures, l’économie vénézuélienne est actuellement étranglée. Elle est en récession et affiche un taux de croissance de -3 % en 2014. Pour faire face, l’État vénézuélien est obligé de s’endetter sur les marchés et de puiser dans ses réserves qui s’épuisent rapidement.

Sur fond d’inflation élevée (68 %), l’État, gros pourvoyeur d’aides sociales, n’a plus la capacité d’assurer ses programmes de lutte contre la pauvreté. La grogne sociale monte d’autant plus que la situation sécuritaire du pays s’est dégradée. Le pays est classé 129ème sur 162 États selon le Global Peace index 2014. En outre, le contexte politique est marqué par une oppression inouïe de l’opposition. On dénombre environ 3 arrestations politiques par jour au Venezuela ; le maire de Caracas en a récemment fait les frais et se retrouve aujourd’hui en prison. La loi martiale a par ailleurs été décrétée lors des manifestations de 2014 : elle autorise la police a tiré à balles réelles sur les manifestants. Les investisseurs étrangers ont pour beaucoup fui le pays car le gouvernement applique une politique de rétention des capitaux qui empêchent les entreprises étrangères de rapatrier les fonds investis au Venezuela. Un mode de gestion incapacitant puisque sans IDE l’économie du pays mettra beaucoup plus de temps à se rétablir.

Les États-Unis : entre bouc-émissaire et cache-misère

Les relations diplomatiques entre les États-Unis et le Venezuela demeurent exécrables et s’aggravent de semaine en semaine. Rappelons que le pays figurait déjà aux côtés de l’Iran, de la Libye et de la Corée du Nord notamment, sur la liste des États voyous de l’administration Bush junior. Officiellement, les relations diplomatiques entre les 2 chancelleries sont rompues depuis 2010 (absence d’ambassadeurs) mais des contacts sont maintenus car les États-Unis demeurent un partenaire commercial incontournable pour le Venezuela, principalement pour écouler son pétrole (90 % des exportations du pays). Dans un style chaviste forcené mais avec une côte de popularité en chute libre (moins de 20 %), Nicolas Maduro tente d’expliquer que les États-Unis impérialistes sont la cause de tous les maux de la nation. En parallèle, il s’active pour renforcer ses partenariats bilatéraux avec les pays amis comme la Russie et Cuba.

L’horizon de Nicolas Maduro à la tête du Venezuela s’assombrit de jour en jour. Le récent rapprochement américano-cubain l’isole encore un peu plus alors que la puissance régionale sud-américaine, le Brésil, semble pour le moins distante. Les élections législatives de 2015 pourraient faire perdre davantage de crédibilité au président Maduro. Barack Obama pousse son avantage en profitant de la fragilité de son adversaire géopolitique. Ainsi a-t-il décrété des sanctions contre le Venezuela en expliquant que ce pays représentait « une menace extraordinaire pour la sécurité nationale » des États-Unis. Après plus de quinze années de chavisme anti-américain comme doctrine populiste d’État, le Venezuela semble s’acheminer vers une douloureuse et incertaine transition.

Le Nil au coeur d’un accord historique

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Lundi 23 mars 2015, l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie ont signé un accord de principe concernant la construction du plus grand barrage africain : le barrage éthiopien « Grande Renaissance ». Ce projet, débuté en 2013 par Addis-Abeba, est un sujet de discorde, un contentieux géopolitique qui envenime les relations entre l’Éthiopie et l’Égypte principalement. Le plus long fleuve du monde est l’objet des convoitises des grands États d’Afrique de l’Est qui en sont dépendants pour leurs approvisionnements en eau, en électricité et pour le développement de leur agriculture par l’irrigation.

Le bassin fluvial du Nil, le plus long fleuve du monde

Le bassin fluvial du Nil, le plus long fleuve du monde

Le président égyptien Abdel Fatah al-Sissi, son homologue soudanais Omar el-Béchir et le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn ont trouvé un accord de principe à Khartoum. Les négociations ont permis d’avaliser le projet de construction d’un barrage gigantesque, de 1 780 mètres de longueur et 145 mètres de hauteur. À terme, il devrait permettre à l’Éthiopie de produire 6 000 mégawatts d’hydroélectricité tout en offrant aux agriculteurs locaux la possibilité d’irriguer leurs cultures. Le coût de ce projet pharaonique s’élève 4,5 milliards d’euros environ mais la vente d’hydroélectricité aux pays voisins devrait faire rentrer environ 700 millions d’euros annuels dans les caisses d’Addis-Abeba. L’accord a été possible car l’Éthiopie a fourni des garanties aux autres États nilotiques. Au Soudan, Desalegn s’est engagé à fournir de l’électricité à un prix préférentiel. Quant à l’Égypte, il a promis que ce barrage colossal ne diminuerait aucunement le volume d’eau annuel que reçoit le pays, soit environ 55 milliards de m3 d’eau. La transparence semble avoir été un élément déterminant dans ce succès hydrodiplomatique.

Rappelons la configuration géographique du bassin du Nil. Le Nil Bleu prend sa source dans les hauts plateaux éthiopiens notamment dans le lac Tana tandis que le Nil Blanc prend sa source dans le lac Victoria (Ouganda, Kenya et Tanzanie). Les deux principaux affluents du Nil se rejoignent à Karthoum, capitale du Soudan, puis le fleuve traverse l’Égypte pour déboucher sur la mer Méditerranée. Par conséquent, l’Éthiopie possède un avantage stratégique car il s’agit d’un pays d’amont. Au contraire, le Soudan et l’Égypte se situent en aval. Ils sont donc complétement dépendants des pays d’amont comme l’Éthiopie quant à leur approvisionnement en eau. Et pour cause, 85 % des eaux du Nil en Égypte proviennent du Nil Bleu et donc de l’Éthiopie.

La maîtrise de l’eau, un enjeu géopolitique vital pour l’Égypte

Le Nil fournit aujourd’hui plus de 90 % des besoins en eau des 85 millions d’Égyptiens. L’enjeu est si vital que le pays des pharaons avait déjà signé 2 accords avec le Soudan concernant le partage des eaux du Nil, en 1929 (11/12 des eaux pour l’Égypte) et en 1959 (2/3 pour l’Égypte). Jusqu’à mars 2015, l’Égypte s’arqueboutait sur les « droits acquis » sur les eaux du Nil lors de l’accord de 1959 ; un accord qui excluait l’Éthiopie au nom de la sécurité nationale hydraulique égyptienne. Le Nil demeure la base de presque tout en Égypte : eau, agriculture, industries, urbanisation, électricité, voies de communication, tourisme… Sans le Nil, il n’y a tout simplement plus d’Égypte et c’est pourquoi l’ex-président égyptien Morsi laissait présager une possible guerre de l’eau contre l’Éthiopie en juillet 2013, à la suite des premiers chantiers éthiopiens de dérivation du Nil Bleu. Des menaces prises au sérieux étant donné le différentiel de hard power des 2 États : le budget de défense égyptien est de 5,28 milliards de dollars tandis que celui de l’Éthiopie est quinze fois moindre (environ 350 millions de dollars).

La Convention des Nations unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, adoptée à New York en 1997 mais entrée en vigueur seulement le 30 mai 2014 grâce au 35ème État signataire, devrait favoriser l’hydrodiplomatie et le partage des eaux de manière équitable entre les États. Néanmoins, cette convention n’est pas contraignante et ne modifie en rien les accords trouvés précédemment. De toute façon, l’Égypte et l’Éthiopie se sont abstenues de la signer…

Nigéria, Buhari aux commandes

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Le 31 mars 2015, le Nigéria a été le théâtre d’un événement historique. Muhammadu Buhari a battu Goodluck Jonathan aux élections présidentielles nigérianes. Après l’indépendance de 1960, la guerre civile (1967-1970), les dictatures militaires, les putschs et la toute-puissance du Parti démocratique populaire (PDP) de 1999 à 2015, c’est la première fois que la première puissance démographique et économique d’Afrique connaît une alternance démocratique. Les pays voisins tout comme l’ensemble de la communauté internationale ont salué cette transition dans le calme, permise par l’acceptation digne de la défaite du président sortant.

Muhammadu Buhari, le nouveau président du Nigéria

Muhammadu Buhari, le nouveau président du Nigéria

Muhammadu Buhari est un habitué des hautes sphères du pouvoir. Ancien général, il a déjà été à la tête du Nigéria (1983-1985), à la suite d’un coup d’État. Aujourd’hui, cet homme du nord du pays, de confession musulmane, a 72 ans et d’immenses défis à relever. Tout d’abord, la mission directe du nouveau président de la plus grande démocratie d’Afrique consistera à abattre le groupe terroriste djihadiste Boko Haram qui menace la sécurité de millions de personnes dans le nord-est du Nigéria et dans la sous-région (Niger, Tchad, Cameroun). Ce volet sécuritaire a largement monopolisé la campagne présidentielle et la sphère médiatique. Buhari a d’ailleurs bénéficié d’un large soutien électoral dans les États du nord du pays dans lesquels la population est particulièrement exposée au risque d’attaques armées et qui reproche à Goodluck Jonathan sa négligence et son incapacité en matière de lutte antiterroriste. Pour répondre aux attentes sécuritaires des Nigérians, Buhari devra donner les moyens à l’armée régulière de livrer bataille aux combattants de Boko Haram tout en trouvant sa place au sein de la coalition régionale, dominée par les contingents tchadiens d’Idriss Déby.

Le second grand défi du nouveau président nigérian est d’ordre économique. Le pays est dépendant des revenus pétroliers. Les hydrocarbures représentent, en effet, 90 % des exportations et 80 % des recettes fiscales. La chute du prix du baril de pétrole à hauteur de 60 dollars contribue au ralentissement de la croissance économique nationale. Néanmoins, le Nigéria bénéficie d’une économie en cours de diversification. Les secteurs de la construction et des télécommunications devraient soutenir la croissance à hauteur de 5 % en 2015 (contre 6,5 % en 2014). Surtout, le principal challenge du président Buhari sera la lutte contre la pauvreté – endémique dans le nord de la fédération – et qui frappe aujourd’hui environ 60 % de la population de cet État ouest-africain (population vivant avec moins de 1,25 dollars par jour). En outre, les inégalités socio-économiques sont criantes et se calquent sur la répartition ethno-religieuse du Nigéria entre un Nord majoritairement pauvre, peuplé d’Haoussas musulmans et un Sud plus riche, comprenant les Igbos majoritairement chrétiens (ainsi que les Yorubas au sud-ouest).

La corruption, pierre angulaire des maux nigérians

À la croisée des défis sécuritaire et économique qui se dressent face à Muhammadu Buhari, la corruption possède un rôle clé. En effet, selon les données de la Banque mondiale, le Nigéria serait l’un des États les plus corrompus de la planète (191ème). Un fléau qui frappe toutes les strates de la société nigériane notamment l’armée, le secteur pétrolier et la classe politique. La corruption semble être un facteur aggravant la situation sécuritaire du pays car elle inhibe les capacités des forces armées nigérianes dont les soldats sous-payés se livrent à toutes sortes de trafics, extorsions et bavures. De même, la corruption mine aussi bien l’administration (évasion fiscale importante) que le secteur du BTP, sans compter les actes de piraterie, la pêche illégale et le narcotrafic en provenance d’Amérique du Sud. La corruption participe à l’augmentation de l’économie souterraine dans le pays (plus de 50 % de l’économie) ; l’informel demeurant bien souvent l’unique moyen de subsistance pour les populations pauvres.

On le voit : les espoirs placés par le peuple nigérian en Muhammadu Buhari sont immenses, à la mesure des défis à relever. Seulement, le temps du mandat présidentiel ne correspond pas à l’échelle de temps nécessaires pour assurer l’ensemble des transformations fondamentales du colosse nigérian aux pieds d’argile. Le cercle vicieux de la corruption qui s’autoalimente demeure le nœud qu’il s’agira de trancher sans toutefois faire écrouler le géant africain.

 

Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, la nouvelle arme chinoise

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Le 15 avril 2015, la session d’intégration des États membres de la future banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB en anglais) était clôturée. À son issue, 57 pays avaient décidé de rejoindre ce projet lancé par le président chinois Xi Jinping en 2013, lors d’un déplacement en Indonésie. Parmi les parties prenantes de cette nouvelle banque, 37 pays asiatiques, l’intégralité des BRICS, des puissances régionales comme l’Iran, l’Arabie Saoudite ou l’Égypte ainsi que la plupart des États d’Europe occidentale dont la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.

La banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, un coup e maître de la diplomatie chinoise

La banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, un coup de maître de la diplomatie chinoise

La création de l’AIIB constitue l’une des principales réalisations de Xi Jinping depuis son arrivée à la présidence de la République populaire de Chine en 2013. L’objectif affiché de cette banque asiatique d’investissement est de financer des projets d’infrastructures d’abord en Asie mais aussi sur d’autres continents. Pour cela, cette nouvelle banque sera dotée d’une réserve de 50 milliards de dollars, extensible à 100 milliards. Ce projet doit être replacé dans un contexte relativement difficile pour la Chine qui connaît un ralentissement de sa croissance. Après avoir connu une croissance annuelle moyenne de 10 % sur 35 ans, la Chine connaît actuellement une croissance de l’ordre de 7,5 %. Par conséquent, l’obsession de l’administration de Xi Jinping est de canaliser ce ralentissement économique pour assurer un atterrissage en douceur (soft landing) de l’économie chinoise. En effet, une brusque chute non maîtrisée de la croissance serait quasi automatiquement synonyme de révolution dans le pays. Une situation de crise intenable et inacceptable pour l’élite du parti communiste chinois au pouvoir.

Pékin développe une stratégie fondée sur le réinvestissement massif de ses réserves (les plus volumineuses au monde soit environ 4 000 milliards de dollars). Dans cette ligne, le gouvernement chinois est à l’initiative du projet de la nouvelle route de la soie et du fonds de 40 milliards de dollars qui lui est consacré. Sans oublier la Nouvelle banque de développement, aussi appelée Banque des BRICS, munie d’une enveloppe de 100 milliards de dollars dont 41 fournis par la Chine. Cette stratégie pilotée par Pékin repose donc sur un trident de nouvelles banques d’investissement : banque des BRICS, fonds de la nouvelle route de la soie et banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. La Chine en quête de relais de croissance est obligée de sortir de ses frontières. Xi Jinping applique là une recette éprouvée à l’intérieur du pays : investissements colossaux pour financer une politique de construction effrénée. Il s’appuie sur ses champions nationaux, les leaders mondiaux du BTP comme China Railway Group, China State Construction et China Communication Construction auxquels il donne du grain à moudre en dehors des frontières chinoises pour servir une diplomatie des infrastructures made by china.

Les États-Unis et le Japon rejettent le projet chinois

Japon et États-Unis sont les deux grands absents de l’AIIB. Les deux alliés rejettent ce projet car ils y voient un concurrent à la banque asiatique de développement (BASD) qu’ils dominent conjointement et qui, depuis 1966, structurent les investissements dans la région Asie-Pacifique. En outre, l’AIIB vient un peu plus réduire la prédominance américaine sur l’architecture de la finance internationale (Banque mondiale, FMI), issue des accords de Bretton-Woods (1944). Les États-Unis ont d’ailleurs cherché à dissuader leurs principaux alliés et partenaires comme le Royaume-Uni et l’Australie à prendre part à la banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Sans succès.

Deux conceptions divergentes du monde semblent s’affronter par organisations internationales financières interposées : les États-Unis bien qu’en proie à un déclin relatif s’accrochent à un ordre du monde ancien, issu de la Seconde Guerre mondiale, et au sein duquel ils demeurent en position dominante ; la Chine, les grands émergents et quelques autres (de plus en plus nombreux) défendent un nouvel ordre du monde, davantage empreint de multipolarité.


Nicaragua, le grand canal interocéanique

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Samedi 13 juin 2015, la 47ème manifestation d’opposition au grand canal interocéanique avait lieu au Nicaragua. Plusieurs milliers de personnes descendaient dans la rue pour protester contre la construction de ce canal qui reliera l’océan Atlantique à l’océan Pacifique. Les manifestants dénonçaient notamment l’expropriation des paysans, les dégâts environnementaux, les conditions des travailleurs locaux et la mainmise chinoise sur le projet.

Le canal géant du Nicaragua, plus long que le canal de Panama et que le canal de Suez

Le canal géant du Nicaragua, plus long que le canal de Panama et que le canal de Suez

Daniel Ortega, le président nicaraguayen, lançait le 22 décembre 2014 le début du chantier du grand canal interocéanique. S’en suivait une série de manifestations appelant à l’arrêt du projet. Pourtant, sur le papier, l’initiative est plutôt séduisante. L’administration Ortega entend dynamiser l’économie du pays – le plus pauvre d’Amérique centrale (131ème selon la Banque mondiale en 2013) – grâce à ce projet pharaonique. Le canal raccourcirait considérablement la route maritime de part et d’autre des Amériques, capterait ainsi une part importante du trafic naval et concurrencerait sérieusement le canal de Panama, situé 600 km plus au sud. La société chinoise HKND (Hong Kong Nicaragua Canal Development Group) en charge des opérations prévoit de bâtir également un aéroport, deux ports, un complexe hôtelier ainsi que d’autres infrastructures dont manque le Nicaragua. En somme, une aubaine pour la population locale.

Cependant, à y regarder de plus près, les raisons du mécontentement des habitants sont compréhensibles. Le tracé du canal traverse des zones rurales habitées que le gouvernement se propose de racheter aux paysans locaux. Or, le prix de rachat des terres, le déplacement et le relogement ne satisfont pas les 30 000 habitants concernés. En outre, il semble que l’ampleur des travaux d’aménagement menace l’écosystème fragile du lac Nicaragua – la seconde plus grande réserve d’eau douce d’Amérique latine après l’Amazone – ainsi que de deux réserves naturelles, véritables hot spots de la biodiversité mondiale. Enfin, les manifestants protestent contre les conditions des travailleurs locaux. En effet, il est prévu que 50 % des travailleurs soient nicaraguayens, 25 % chinois et 25 % étrangers (autres nationalités). Or, des zones franches seront aménagées tout le long du canal afin d’attirer entreprises et investisseurs étrangers. Ces zones franches ne seront pas soumises au code du travail national ce qui fait craindre un risque d’exploitation massive des travailleurs locaux, confinés aux tâches difficiles, dans des conditions salariales et humaines misérables.

Ambitions chinoises et oligarchie nicaraguayenne autour d’un canal stratégique

Jusqu’à maintenant, les protestations massives contre le canal interocéanique n’ont été que très peu relayées dans les médias nationaux. Rien d’étonnant étant donné que Laureano Ortega, le fils du président, travaille en tant que promoteur d’investissement pour PRONicaragua, l’agence officielle de promotion des exportations et des investissements du pays, qui chapeaute le projet. Le canal interocéanique constitue le projet phare du troisième mandat de Daniel Ortega qui, rappelons-le, a modifié la constitution en 2014 pour supprimer la limite des deux mandats présidentiels consécutifs. Ainsi pourra-t-il de nouveau se présenter aux prochaines élections présidentielles prévues pour 2016. N’oublions pas que clan Ortega tient les institutions stratégiques du pays dont certaines chaînes de télévision et le secteur pétrolier.

En s’alliant à la Chine, Daniel Ortega cherche à développer son pays tout en obtenant des facilités de financement. L’entreprise HKND, dirigée par le milliardaire Wang Jing, 12ème fortune de Chine, sert les intérêts stratégiques de l’État chinois. Pour s’en convaincre, HKND s’appuiera sur la société d’État China Railway Construction, un des leaders mondiaux du BTP, pour les travaux. HKND a obtenu du gouvernement nicaraguayen, non seulement la direction du chantier censé être achevé en 2019-2020, mais aussi et surtout les droits d’exploitation du canal et des infrastructures complémentaires (un aéroport, deux ports, un complexe hôtelier…) pour 50 ans, renouvelables une fois. L’essentiel des recettes irait donc aux Chinois et non à l’Etat nicaraguayen, même si des retombées économiques sont à prévoir.

Ce projet de canal interocéanique s’inscrit dans une diplomatie chinoise des infrastructures à destination des pays en développement aussi bien en Asie, qu’en Afrique et aux Amériques. Que cela porte le label de nouvelle route de la soie, le financement de la banque asiatique d’investissement pour les infrastructures ou non, ce projet gigantesque (50 milliards de dollars, soit un peu moins de 5 fois le PIB du Nicaragua) permet aux Chinois de répondre au pivot américain vers l’Asie et à la stratégie états-unienne d’endiguement de la puissance chinoise en s’installant durablement en Amérique centrale, pré carré traditionnel des États-Unis.

Bâtir une armée européenne (1/2)

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En mars 2015, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker appelait de ses vœux la création d’une armée européenne. Par son intervention médiatique, il relançait ainsi le sempiternel débat sur la construction d’une Europe puissance, dotée d’une armée commune. Véritable serpent de mer de la politique de l’Union européenne, la constitution d’une armée européenne est aujourd’hui davantage une idée qu’une réalité. Il s’agit d’une lacune dans la diplomatie européenne qui manque de consistance face aux grandes nations, munies d’un hard power conséquent comme les États-Unis, la Russie ou la Chine.

Federica Mogherini, la Haute Représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité

Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité

La longue histoire de la défense européenne

Au milieu du XXe siècle, l’Europe avait déjà tenté d’édifier une armée commune. La Communauté européenne de défense en dessinait les contours dès 1950, à l’initiative des pères fondateurs de l’Union européenne, Jean Monnet et Robert Schumann. Malgré la signature du traité en 1952 par les six États de la CECA, l’Assemblée nationale française refuse de le ratifier en 1954, enterrant la première ébauche d’une défense européenne. Le traité prévoyait l’élaboration d’une armée intégrée sous commandement commun. Toutefois, le Conseil des ministres en charge de diriger l’armée européenne était lui-même subordonné à l’OTAN. C’est Washington qui aurait ainsi fixé la politique de défense et d’acquisition des armements ce qui aurait obligé la France à stopper son programme nucléaire militaire, la privant alors de son indépendance stratégique. La Communauté européenne de défense telle qu’elle était présentée dans le traité non ratifié n’était plus que l’ombre du projet conçu par Jean Monnet qui souhaitait une armée européenne, placée sous l’autorité d’un ministre européen de la défense, sous le contrôle d’une assemblée européenne et disposant d’un budget militaire commun. Seulement, même Jean Monnet ne proposait pas de CED hors OTAN.

Les acquis de l’Europe de la défense

À ce jour, l’Europe a constitué un embryon de dispositif de défense. Le Haut-Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, actuellement Federica Mogherini, coordonne et exécute la Politique étrangère de sécurité commune (PESC) et son bras opérationnel : la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Le Haut-Représentant s’appuie sur le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) pour permettre à l’Union européenne de parler d’une seule voix sur la scène internationale. Néanmoins, le SEAE ne constitue pas un ministère européen des Affaires étrangères et n’a pas vocation à se substituer aux chancelleries des États membres de l’UE. En outre, dès 2000, l’UE se dote d’institutions lui permettant de répondre aux menaces du XXIe siècle : le Comité politique et de sécurité (COPS), le Comité militaire de l’Union européenne (CMUE) et l’État-major de l’Union européenne (EMUE). Grâce à cette architecture opérationnelle, l’UE a lancé trente-et-une missions (dont onze opérations militaires) à l’image de EUTM Mali, EUCAP Sahel ou EUNAVFOR Atalanta.

Nous venons d’aborder le débat de la construction d’une armée européenne intégrée sous l’angle historique. Dans un prochain article, nous verrons quels sont à la fois les avantages d’un tel projet mais aussi les obstacles qui jalonnent la longue route vers l’armée européenne.

Bâtir une armée européenne (2/2)

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Dans un précédent article, nous avons abordé sous un angle historique la question de la construction d’une armée européenne. Cette question réémerge dans un contexte international pour le moins troublé. L’Union européenne et son voisinage connaissent des crises et des guerres (crise russo-ukrainienne, guerre civile syrienne, attentats terroristes, guerre civile en Libye, conflit sahélien)  qui posent un véritable défi aux membres de l’UE. Comment l’UE peut-elle être entendue et respectée sur la scène internationale, comment peut-elle défendre ses intérêts, sans une armée digne de ce nom ?

L'Agence européenne de défense, un des principaux moteurs de la construction d'une Europe de la défense

L’Agence européenne de défense, un des principaux moteurs de la construction d’une Europe de la défense

Pourquoi bâtir une armée européenne ?

Une armée européenne constituerait un signal fort donné par l’UE au monde entier. Elle renforcerait la diplomatie continentale et lui conférerait une audibilité augmentée face à ses interlocuteurs étrangers. Une armée commune faciliterait la réponse aux menaces globales et à celles visant un État membre ou voisin. En effet, en 2003, Javier Solana alors Haut-Représentant présentait au Conseil européen la stratégie européenne de sécurité. Cinq menaces majeures pour l’Europe y était identifiées : le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, la déliquescence des États et la criminalité organisée. Une armée commune aurait également un effet dissuasif face à certains États développant une politique de puissance expansive à l’instar de la Russie. Enfin, une armée européenne favoriserait des économies d’échelle, essentielles pour résoudre l’équation stratégique actuelle marquée par des contraintes budgétaires, une persistance voire une augmentation des risques et des menaces ainsi qu’un désengagement américain relatif du continent européen. L’Agence européenne de défense en serait un outil indispensable. Créée en 2004, elle a pour objectif de renforcer la coopération intra-européenne, stimuler la R&D dans le domaine de la défense, améliorer et augmenter la base industrielle et technologique de défense et contribuer à l’émergence d’un marché commun de l’armement.

Les obstacles à l’armée européenne

Plusieurs obstacles se dressent face au projet d’armée européenne. L’OTAN reste le garant de la sécurité du continent et ce depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ses moyens budgétaires, humains et son armement sont de très loin supérieurs à ceux de l’appareil de défense de Bruxelles. L’intégration économique est bien plus facile à réaliser puisqu’elle touche moins le cœur de la souveraineté des États que la défense, considérée comme vitale et stratégique. En France par exemple, le Président de la République est à la fois chef d’État et chef des armées françaises. Les divergences entre États membres de langues, de matériels, de doctrines d’emploi des forces, de priorités stratégiques et l’absence de consensus politique sur le sujet forment des freins puissants limitant pour l’instant l’intégration d’une armée européenne. Face à l’essoufflement des démarches laborieuses en matière de défense dans les grandes enceintes multilatérales comme l’UE ou l’OTAN, les États européens préfèrent fréquemment bâtir des coopérations bilatérales voire minilatérales (comprenant un groupe restreint de pays).

Conclusion : l’horizon lointain et incertain de l’armée européenne

L’Union européenne est encore loin de posséder une armée digne de ce nom. Par défaut, elle aspire à démontrer ses capacités civilo-militaires en multipliant les opérations : missions de formation militaire, actions conjointes de désarmement, missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, opérations militaires, gestion de crise et stabilisation post-conflit. L’UE déploie un « hyper soft power » en charge d’exporter la sécurité à ses marges faute de se munir d’un hard power, véritable outil de sécurisation du continent européen. L’UE demeure sous parapluie otanien tandis que la sécurité reste pensée comme nationale en Europe et est donc du ressort des États souverains.

Dossier n°8 – Le cinéma, instrument du soft power des États-Unis et de la Chine

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Le cinéma, instrument du soft power des États‐Unis et de la Chine

dossier n8La Chine est le nouveau grand rival stratégique des États-­Unis. Le cinéma avait été utilisé par Washington comme une arme redoutable de propagande, de sensibilisation culturelle et de
lutte contre l’expansion soviétique. L’URSS était alors perçue comme un ennemi à abattre et le soft power américain était tout entier tourné vers cet objectif. Les stratégies adoptées par les studios hollywoodiens durant la Guerre froide étaient résolument offensives. Depuis, les méthodes ont changé et l’approche est moins frontale : il s’agit de coopérer plus que de combattre pour conquérir les marchés du cinéma. En ce temps, le marché filmique soviétique était à la fois fermé et sous-dimensionné donc peu intéressant pour l’industrie culturelle américaine.

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Djibouti, micro-État géostratégique

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D’une superficie inférieure à celle de la Bretagne, Djibouti est un micro-État de la Corne de l’Afrique. Situé sur le détroit de Bab el-Mandeb, entre mer Rouge et océan Indien, il est limitrophe de la Somalie, de l’Éthiopie, de l’Érythrée et fait face au Yémen. Îlot de stabilité au sein d’une région en crise, ce petit pays jouit d’une position enviée de carrefour entre le Moyen-Orient et l’Afrique. Djibouti, c’est aussi une étape cruciale sur une des routes maritimes commerciales les plus empruntées au monde (40 % du trafic maritime mondial), reliant l’Asie, à la péninsule arabique et à l’Europe via le canal de Suez.

Djibouti, un pays minuscule et un carrefour géostratégique entre mer Rouge et océan Indien

Djibouti, un pays minuscule et un carrefour géostratégique entre mer Rouge et océan Indien

En 2015, Djibouti demeure l’un des pays les plus pauvres au monde avec un PIB inférieur à 2 milliards de dollars. La population locale qui n’atteint pas le million d’habitants vit pour plus de 40 % sous le seuil de pauvreté tandis que le chômage concernerait près de 60 % de la population active. Malgré ses handicaps, Djibouti peut compter sur son principal atout : sa position géographique. L’État africain possède une façade maritime sur le golfe d’Aden ce qui attise les convoitises de 2 types d’acteurs : d’une part, les voisins enclavés à l’image du Soudan du Sud et de l’Éthiopie ; d’autre part, les grandes puissances militaires étrangères. Djibouti est considéré comme vital par l’Éthiopie qui ne dispose d’aucun débouché maritime et dont 80 % des exportations transitent par ce petit pays côtier. En contrepartie, les Djiboutiens se fournissent en hydroélectricité en provenance des grands barrages éthiopiens. Le Soudan du Sud mise également beaucoup sur Djibouti afin d’exporter son pétrole. De nombreux projets d’infrastructures comme un oléoduc sont en cours ou à l’étude entre ces trois pays.

Situé à proximité de la Somalie, foyer de pirates et des djihadistes d’al-Shabbab, du Soudan du Sud instable et du Yémen en guerre (Daesh, AQPA, milices houthistes), Djibouti tire aussi avantage de sa position géostratégique auprès des principales puissances militaires mondiales. Ainsi les États-Unis y possèdent-ils la plus grande de leurs bases militaires permanentes en Afrique : le Camp Lemonnier établi en 2002 (plus de 4 000 soldats). Ex-colonie française, Djibouti abrite également une des 4 bases militaires permanentes de la France à l’étranger. La France devrait y réduire ses effectifs d’environ un tiers d’ici 2017, passant de 1 900 à 1 350 militaires tricolores, en raison de contraintes budgétaires et en prévision d’un redéploiement sur d’autres théâtres d’opérations.

Le Japon et la Chine prennent position à Djibouti

Alors que les positions françaises se fragilisent à Djibouti, d’autres puissances au contraire s’y implantent ou prévoient de le faire à court terme. C’est le cas du Japon qui y a ouvert en 2010 sa première base militaire implantée à l’étranger depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’État nippon entend sécuriser la route maritime du golfe d’Aden par laquelle transitent près de 90 % des exportations de l’archipel. Chaque année, un bateau sur 10 qui franchissent le détroit de Bab el-Mandeb est japonais. Le Japon, traditionnel adepte de la diplomatie du chéquier, entend se renouveler et faire valoir sa puissance militaire et ses compétences en termes d’anti-piraterie dans la région.

Surtout, la République populaire de Chine projette de renforcer son empreinte locale, jusqu’alors essentiellement économique, en s’implantant militairement à Djibouti. Habituée à établir des contrats « infrastructures contre matières premières » avec les pays en développement, la Chine propose cette fois un partenariat « infrastructures et protection contre position ». Le géant asiatique est impliqué dans la majorité des grands projets de construction du pays (aéroports, lignes ferroviaires, ports, autoroutes, télécommunications…). La Chine souhaite ainsi protéger ses intérêts en Afrique (plus de 200 milliards d’échanges annuels) et au Soudan du Sud en particulier dans le domaine pétrolier. Ce continent en croissance intéresse les dirigeants chinois qui prévoient d’y faire transiter la branche maritime de la nouvelle route de la soie, futur axe majeur du développement chinois. Quant à Djibouti, il cherche à compenser sa petitesse en vendant cher sa position stratégique. Les baux militaires lui apportent une rente confortable, les accords de défense garantissent sa sécurité tandis que les investissements étrangers développent le pays.

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