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007 Spectre, James Bond face à la surveillance globale

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Attention ! Les paragraphes qui suivent dévoilent une partie de l’intrigue du dernier film de la saga des James Bond : 007 Spectre.

À l’occasion de la sortie au cinéma de 007 Spectre, le réalisateur Sam Mendes nous entraîne de nouveau dans une aventure du célèbre espion britannique. Du cinéma de fiction direz-vous ? À y regarder de plus près, la saga des James Bond recycle tous les grands thèmes du débat stratégique mondial des 60 dernières années. L’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI) ne s’y est pas trompé et a organisé une conférence dernièrement à Paris sur le thème : James Bond, héros géopolitique ? Revenons sur le dernier opus qui aborde lui aussi un thème majeur de l’actualité internationale : la mutation des services de renseignement.

Daniel Craig incarne James Bond qui paradoxalement doit combattre le SPECTRE qui prévoit d'augmenter le pouvoir des agences de renseignement

Daniel Craig incarne James Bond qui paradoxalement doit combattre le SPECTRE qui prévoit d’augmenter le pouvoir des agences de renseignement

Dans 007 Spectre, James Bond est le témoin de la réorganisation des services de renseignement britanniques : le MI-5 (en charge de la sécurité intérieure) et le MI-6 (responsable des opérations extérieures) fusionnent pour former la super-agence de renseignement du Royaume-Uni. Cette restructuration nationale s’accompagne d’une plus large intégration de 9 dispositifs de renseignement étatiques à l’échelle mondiale. La nouvelle agence britannique se retrouve engloutie, aux côtés des 8 autres membres dont les États-Unis, dans un immense cartel d’espionnage alors baptisée les « 9 Sentinelles ».

L’opération en question n’est pas sans rappeler le traité UKUSA, établi dès 1946 entre le Royaume-Uni et les États-Unis, et qui prévoyait un haut degré de partage entre les services de renseignement nationaux respectifs. Ils seront rejoints par le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande pour former le groupe des « Five Eyes », les 5 pays ayant des programmes d’échanges de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM ou SIGINT en anglais pour Signals Intelligence). L’exemple le plus célèbre de cette coopération à l’échelle mondiale demeure le vaste programme d’écoute, connu sous le nom d’ECHELON et révélé dans les années 1990. D’ailleurs, il existe une extension de ce dispositif dit « Nine Eyes » intégrant un second cercle de pays comprenant la France, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège.

La trame de 007 Spectre est complétement d’actualité car elle relance le débat sur des questions stratégiques cruciales soulevées par les révélations d’Edward Snowden : surveillance de masse orchestrée par la NSA, prolifération des drones ISR (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) et compétition entre d’une part, le renseignement humain (HUMINT) incarné par un James Bond un peu old school qui enquête sur le terrain, et d’autre part, le renseignement électronique (ELINT), la surveillance des communications par ondes radio (COMINT) et le renseignement optique (IMINT), représentés par le réseau d’espionnage global des « 9 Sentinelles », commandé par le personnage dénommé C. Le film confronte 2 perspectives : ira-t-on plutôt vers un mode d’espionnage ciblé (surveillance) chargé de suivre l’évolution des menaces ou bien vers un monde sur écoute (reconnaissance) passant notamment par la collecte massive de données personnelles ?

L’organisation SPECTRE à la manœuvre

Le film introduit également un autre acteur majeur des relations internationales : le crime organisé. Ici, il prend la forme conspirationniste de l’organisation secrète SPECTRE qui mêle le grand banditisme aux diplomates et hommes d’affaires du monde entier. SPECTRE serait en vérité l’inspirateur du programme de surveillance supranational que nous mentionnions. Elle rappelle des entités plus ou moins occultes comme la franc-maçonnerie ou encore le groupe Bilderberg. Au delà de la thèse d’un complot mondial illustré dans le film mais qui demeure difficilement envisageable en réalité, le scénario nous invite à questionner l’usage politico-médiatique du terrorisme pour justifier des décisions lourdes de conséquences sous le coup de l’émotion, à l’image de l’instauration des « 9 Sentinelles » à la suite d’un attentat. En toile de fond, la préservation du contrôle démocratique et des libertés individuelles semble d’autant plus indispensables que la menace n’est pas représentée uniquement comme venue de l’extérieur. James Bond reste ce héros géopolitique traditionnel mais paraît devenir de moins en moins manichéen. À suivre…


Vers la prochaine crise économique mondiale ?

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Ralentissement économique chinois, chute des cours du pétrole, demande mondiale en berne, croissance globale grippée… L’économie mondiale fonctionne au ralenti. Certes, mais ses fondements ont-ils été assainis depuis la dernière crise majeure, déclenchée aux Etats-Unis en 2007 ? Plusieurs facteurs déterminants laissent penser que tous les déséquilibres n’ont pas été corrigés. Au contraire, certaines bulles enflent et leur éclatement menace de déstabiliser un système économique et financier mondial de plus en plus interconnecté.

L'atonie de la croissance chinoise serait-elle le signe de l'imminence d'une nouvelle crise économique mondiale ?

L’atonie de la croissance chinoise serait-elle le signe de l’imminence d’une nouvelle crise économique mondiale ?

Tout d’abord, rappelons-nous que la dernière crise financière a été déclenchée par l’éclatement de la bulle immobilière américaine : c’est la fameuse crise des subprimes, ces prêts exorbitants accordés à des propriétaires non solvables, sur fond de croissance « infinie » des prix de l’immobilier. Or, aujourd’hui le système des subprimes n’a pas été éliminé outre-Atlantique. Les bulles enflent mais cette fois-ci moins dans le secteur de l’immobilier que dans ceux de l’automobile et des cartes de crédit au sein desquels l’endettement atteint les dangereux records de l’avant-crise en 2006-2007.

L’autre bulle américaine qui inquiète les économistes est celle des prêts étudiants. Environ 40 millions d’étudiants américains ont dû emprunter pour payer des frais universitaires en augmentation de plus de 7 % sur la seule année 2014. Résultat : la dette des étudiants états-uniens représente une bulle de plus de 1 160 milliards de dollars au 31 décembre 2014. Si cette bulle était le PIB d’un Etat, elle se classerait en 16ème position devant les PIB de l’Indonésie, des Pays-Bas, de la Turquie ou encore de l’Arabie Saoudite.

Quand la Chine éternue, l’économie mondiale s’enrhume

L’autre source majeure de préoccupation des économistes demeure la Chine. Dans la décennie précédente, la République populaire de Chine constituait la locomotive économique du monde et plus particulièrement des pays émergents et en développement. Rappelons-nous qu’à la veille de la crise économique mondiale en 2007, l’ex-Empire du Milieu enregistrait une croissance de 14 % ! Aujourd’hui, le moteur économique chinois est enrayé. Les données chinoises officielles font état d’une croissance légèrement sous la barre des 7 % pour 2015. Or, certains analystes occidentaux envisagent une croissance réelle plutôt de l’ordre de 4 % maximum. Ce pays-continent entre dans une transition économique : d’une croissance tirée par les investissements massifs, l’industrialisation, la construction et les exportations, la Chine tente de s’orienter vers un modèle économique propulsé par la consommation intérieure. Ce revirement s’opère avec des à-coups. Par conséquent, ces ajustements font plonger d’autres pays comme la Russie et le Brésil qui ont largement reprimarisé leur économie pour fournir la Chine en matières premières. Or, aujourd’hui les prix des ressources sont bas, entraînés par la chute du prix du baril de pétrole, car la demande chinoise est à l’arrêt.

D’un modèle allemand fondé sur la compétitivité et les exportations, la Chine s’oriente vers un modèle espagnol plus périlleux, fait de surinvestissements (47 % du PIB chinois) et d’une bulle immobilière gonflée par une construction effrénée. Une situation qui rappelle aussi, toute proportion gardée, celle du Japon au début des années 1990. Le pays du soleil levant plongeait alors dans une crise due en partie à l’implosion de sa bulle immobilière. Sauf que depuis novembre 2015 la monnaie chinoise, le yuan, a été intégrée par le FMI dans son panier de devises, l’érigeant ainsi en monnaie pour les échanges internationaux au même titre que le dollar, l’euro, le yen et la livre sterling. Or, cette décision augmente le risque de contagion incontrôlable en cas de crise financière. Le risque est réel, d’autant plus que le yuan a été dévalué deux fois depuis cet été. La tendance baissière des prix du pétrole et la situation de surcapacité industrielle de la Chine peuvent faire craindre le spectre de la déflation. Qu’adviendra-t-il si la Chine ne peut plus s’enrichir ? Le risque d’un soulèvement populaire n’est pas à écarter au sein d’une dictature qui maintient la paix sociale par l’augmentation des salaires (le smic chinois a doublé entre 2009 et 2014, il doit encore doubler d’ici 2018).

Alors que l’Europe souffre du chômage et d’un manque chronique d’investissements, les déséquilibres chinois et américains font craindre l’émergence d’une nouvelle crise planétaire à court terme. Rien n’est certain mais envisager l’ensemble des scénarios possibles semble plus que nécessaire.

La France à l’assaut de l’Inde

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Du 24 au 26 janvier 2016, le président François Hollande accomplissait sa visite officielle en Inde. Accompagné d’une large délégation de patrons d’entreprises françaises, le chef de l’Etat souhaite promouvoir le savoir-faire hexagonal auprès du géant asiatique. Sur fond de négociations en vue d’un contrat d’avions de chasse Rafale, les relations franco-indiennes se sont considérablement renforcées durant la présidence Hollande. Éclairage sur un choix stratégique.

La France renforce ses liens avec une Inde en pleine croissance

La France renforce ses liens avec une Inde en pleine croissance

Tout d’abord, le Rafale de Dassault Aviation demeure en ligne de mire de ce voyage en terre indienne. Rappelons qu’en avril 2015, le Premier ministre indien Narendra Modi annonçait au Bourget son intention d’acquérir 36 chasseurs tricolores sur étagère. Sa déclaration coupait court à plusieurs années de négociations franco-indiennes enlisées au sujet d’un super-contrat de 126 avions (dont 108 à construire sur le sol indien). Toutefois, point de contrat signé jusqu’alors, seulement une déclaration d’intention. Il faut dire que les besoins indiens en matière d’aviation militaire sont conséquents : sur une flotte d’environ 600 aéronefs, quelques 200 unités sont ou seront très prochainement à remplacer. À l’issue de la visite, le dossier avance un peu avec la signature d’un accord intergouvernemental. Néanmoins, les négociations achoppent sur les aspects financiers : le montant et les offsets (contreparties et transferts de technologie). Dassault estime être en mesure de finaliser le contrat dans les 4 prochaines semaines. Affaire à suivre.

Concernant les autres projets industriels français en Inde, les secteurs des énergies renouvelables et de l’eau sont particulièrement représentés. Aussi, Suez a remporté divers contrats concernant la fabrication d’infrastructures de gestion de l’eau pour plusieurs dizaines de millions d’euros. L’entreprise française Solaire direct a signé pour la fourniture d’installations de production d’énergie solaire. Ce contrat est concrétisé à peine plus d’un mois après le lancement franco-indien de l’Alliance solaire internationale lors de la COP 21 à Paris. L’Inde est en effet le 3ème plus gros émetteur mondial de gaz à effet de serre. Narendra Modi souhaite convertir son pays aux énergies renouvelables en s’engageant pleinement sur le chemin de la croissance verte. Son objectif est ambitieux : les énergies renouvelables devront compter pour 40 % du bouquet énergétique indien en 2040. Cependant, le territoire indien manque d’infrastructures. Cette lacune mine le tissu industriel local et refreine les investisseurs étrangers. Qu’à cela ne tienne, le Premier ministre indien souhaite développer massivement les infrastructures de son pays pour favoriser l’implantation de multinationales et de start up étrangères avec à la clef d’importants transferts de technologie : c’est la stratégie du Make in India. Alstom a ainsi pu signer un juteux contrat de 3,7 milliards d’euros pour la fourniture de 800 locomotives à la compagnie ferroviaire d’Etat indienne. De plus, la France investira 2 milliards d’euros dans la construction de 3 smart cities en Inde. D’ici 2020, les investissements français au pays de Gandhi devraient doubler.

L’Inde, un choix stratégique pour la France

Tandis que la croissance mondiale s’essouffle, que la Chine voit les difficultés économiques et financières s’accumuler et que la Russie et le Brésil enregistrent un recul de leur PIB à cause de la chute des prix des matières premières, l’Inde semble être le seul grand émergent à tirer son épingle du jeu. Contrairement aux autres, l’Inde est un importateur net de matières premières. Elle ne souffre donc pas de la chute du prix du baril de pétrole, au contraire. En outre, son économie est moins dépendante de la Chine que les autres pays émergents qui pâtissent du ralentissement chinois. Pour preuve, en 2015, la croissance indienne (7,3%) dépassait, pour la première fois depuis de nombreuses années, la croissance chinoise (6,9 %).

Dans ce contexte, l’Inde apparaît comme un marché prometteur pour les entrepreneurs français en quête de relais de croissance. L’État français accompagne et favorise cet élan économique en resserrant ses liens avec New Delhi qui cherche à diversifier ses partenaires tant commerciaux que stratégiques. Rappelons au passage que l’Inde reste le premier importateur mondial d’armement (environ 15 % des achats d’armes) dans une région caractérisée par son instabilité (conflits latents au Cachemire et dans l’Aksaï Chin, recrudescences des attaques terroristes dans le sous-continent indien). Gage de bonne volonté ou signal faible, Narendra Modi a autorisé pour la première fois dans l’histoire de la République de l’Inde des soldats d’une armée étrangère (en l’occurrence l’armée française) à défiler sur le sol indien lors du Republic Day.

Syrie, la stratégie des quatre mers

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En 2009, lors d’une conférence en Turquie, le président syrien Bachar al-Assad présentait sa doctrine énergétique baptisée : « stratégie des quatre mers ». Selon lui, la Syrie occupe une position géostratégique enviable au cœur du Moyen-Orient entre quatre espaces maritimes : la mer Caspienne (au nord-est), la mer Noire (au nord-ouest), la mer Méditerranée (à l’ouest) et le Golfe arabo-persique (au sud-est). L’idée du leader syrien est simple : il veut faire de la Syrie un hub énergétique, le nœud par lequel les pipelines de la région – la plus riche en hydrocarbures du monde – doivent passer pour alimenter le marché européen. Du fait de cette position stratégique et selon ses propres mots, la Syrie ne serait pas seulement le centre du Moyen-Orient mais le « centre du monde », le nouvel heartland.

Les deux projets concurrents de la stratégie des quatre mers chère à Bachar al-Assad
Les deux projets concurrents de la stratégie des quatre mers chère à Bachar al-Assad

À la suite de ce discours, le président Assad se rend dans les capitales des principaux États du Moyen-Orient afin de présenter la stratégie des quatre mers. Le Qatar et l’Arabie Saoudite sont intéressés par ce projet qui leur permettrait d’acheminer le gaz qatari via la Jordanie, la Syrie et la Turquie pour enfin rejoindre l’Europe. Le Qatar exporte déjà du gaz vers l’Europe mais il s’agit essentiellement de gaz liquéfié transporté par méthanier. Pour l’émirat, le projet d’un gazoduc via la Syrie offre des perspectives d’un partenariat de long terme avec les clients européens qui cherchent à diversifier leurs approvisionnements pour ne pas dépendre du gaz russe.

Néanmoins, Bachar al-Assad propose également un partenariat similaire à l’Irak et à l’Iran. La République islamique d’Iran est séduite par l’initiative et conçoit le projet d’Islamic Gas Pipeline partant des champs gaziers iraniens pour transiter par l’Irak et la Syrie avant de rejoindre les Etats européens, sans passer par la Turquie et encore moins par l’Arabie Saoudite et le Qatar. C’est finalement ce projet concurrent qui est choisi par la présidence syrienne durant l’été 2011 pour réaliser sa stratégie des quatre mers. À Doha et à Ryad, cette affaire est vécue comme une double trahison : d’une part, le choix de l’Islamic Gas Pipeline annihile de fait le projet d’un gazoduc en provenance du Qatar et de l’Arabie Saoudite et d’autre part, le projet choisi renforce la puissance ennemie des monarchies du Golfe dans la course au leadership régional : l’Iran.

La stratégie des quatre mers cristallise les alliances dans le conflit syrien

Très vite, à la suite de cette déconvenue, l’Arabie Saoudite et le Qatar en identifient le responsable qui devient dès lors l’homme à abattre : Bachar al-Assad. Les deux monarchies du Golfe vont intensifier leur soutien aux rebelles en les armant, les entraînant et les finançant. Dès 2012, ce soutien prend notamment la forme de l’opération « Bois de Sycomore » (Timber Sycamore), organisée avec la CIA pour armer les rebelles anti-Assad dont de nombreuses brigades djihadistes, affiliées à Al-Qaïda et à Daech. Cet axe dit « sunnite » est renforcé par la Turquie et la Jordanie, toutes deux lésées par le choix syrien de l’Islamic Gas Pipeline, la Turquie profitant du chaos syrien pour intensifier sa propre guerre contre les Kurdes.

En face, une alliance « chiite » de soutien au régime Assad prend forme. Elle regroupe sans surprise l’Iran, l’Irak et le Hezbollah libanais pour les soutiens régionaux mais surtout la Russie qui dispose de la base navale de Tartous sur la côte méditerranéenne de la Syrie. À y regarder de plus près, on distingue clairement que les frappes aériennes réalisées par les Russes et la coalition arabo-occidentale n’ont que peu souvent les mêmes cibles. La Russie cherche avant tout à maintenir le régime syrien en place en frappant massivement les rebelles mais visent également Daech dans une moindre mesure. En effet, Poutine a bien compris que Daech représente tant une menace pour Bachar al-Assad que pour l’unité de la Fédération de Russie dont les marges sud (Tchétchénie, Daghestan) sont contaminées par une montée de l’islamisme radical. Les raids aériens arabo-occidentaux, notamment américains, ciblent surtout les installations et les combattants de Daech.

Sans surdéterminer les rivalités de pouvoir en Syrie, les questions énergétiques et la géopolitique des tubes demeurent l’un des facteurs de polarisation stratégique au Moyen-Orient en général et dans le conflit syrien en particulier.

Carte Syrie YDM Rémy Sabathié

La Chine et les terres rares : l’histoire d’une victoire

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À l’occasion de la parution du livre La France et les Terres rares (Rémy Sabathié, Les Editions du Net, février 2016) et du dernier livre des Yeux du Monde, Panorama des ressources mondiales (Les Editions du Net, mars 2016), revenons sur un épisode clé de la géopolitique et de la géoéconomie des matières premières : l’histoire de la construction du monopole chinois sur les terres rares, ces métaux quasi incontournables dans la fabrication des smartphones, des ordinateurs, des lampes basse consommation mais aussi des voitures hybrides, des éoliennes ou encore des drones.  

La Chine n'a pas toujours écrasé le marché des terres rares
La Chine n’a pas toujours écrasé le marché des terres rares

S’il est vrai qu’à l’heure actuelle la République populaire de Chine domine incontestablement la production mondiale de terres rares (elle détient plus de 90% de la production totale), la Chine n’a pas pour autant toujours été le maître du marché mondial des terres rares. Tout au long du XIXe siècle, la France est un leader scientifique dans le domaine des terres rares. Puis, en 1919, le chimiste Georges Urbain fonde la Société des produits chimiques des terres rares qui dispose d’une usine consacrée à la fabrication de briquet au mischmétal et de manchons à gaz à base de terres rares. L’usine, transférée à La Rochelle dans les années 1940, existe toujours et appartient à Rhodia (groupe Solvay). Son activité devrait cesser fin 2016 après presque 100 ans d’existence, faute de rentabilité.

Dans la première moitié du XXe siècle, soit avant l’industrialisation de la production d’oxydes de terres rares, l’Afrique du Sud était le principal extracteur de terres rares, même si sa production demeurait confidentielle. Ce n’est qu’à partir du projet Manhattan (1939-1946) dont le but est de concevoir la première bombe atomique que les Américains s’emparent du sujet des terres rares et commencent à développer de nouvelles technologies de séparation. Les États-Unis deviennent à partir des années 1960 le premier producteur mondial de terres rares et ce jusqu’au milieu des années 1980.

La Chine s’empare de la filière des terres rares

La Chine entre alors en scène sous l’impulsion de Deng Xiaoping qui opte pour une stratégie de long terme de développement de la filière nationale des terres rares. En 1992, il affirme même que « les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient ». La politique de prix bas permet à la Chine de gagner rapidement des parts de marché sur son concurrent américain : le géant Molycorp, propriétaire de Mountain Pass, la seule grande mine de terres rares des États-Unis. Dans le même temps, les entreprises chinoises lancent des OPA sur les principales sociétés détentrices des technologies clés de la filière des terres rares. Un consortium chinois acquiert en 1995 la filiale de General Motors appelée Magnequench, le fleuron de l’industrie américaine détenteur du savoir-faire en matière de fabrication d’aimants permanents à base de terres rares. Toute la propriété intellectuelle (les brevets et donc les secrets technologiques) s’envolent pour la Chine et à peine 5 ans plus tard l’usine de l’Indiana est rapatriée en Chine.

En 2002, la mine de Mountain Pass est fermée. Désormais seul maître du marché des terres rares, la Chine construit son monopole et atteint 97 % de la production mondiale de terres rares en 2010. Dans un sursaut combattif, les États-Unis tentent par l’entremise de Molycorp de reprendre la main sur le marché pour sécuriser leurs approvisionnements en terres rares, essentielles pour l’industrie américaine de l’armement. La mine de Mountain Pass est réouverte en 2012 mais Molycorp se déclare en faillite durant l’été 2015, après avoir enregistré plus d’un milliard de dollars de perte. En effet, après l’embargo chinois sur les terres rares fin 2010 et la flambée des prix de ces métaux courant 2011, il semblait possible pour la concurrence de s’installer sur le marché des terres rares. C’était sans compter sur la Chine qui, en réponse à l’injonction de l’OMC, décide de supprimer sa politique de quotas à l’export pour la remplacer par un système de licences accordées à des entreprises partenaires. La Chine continue ainsi d’inonder le marché mondial de ses terres rares, maintient les prix à la baisse pour annihiler toute concurrence et force l’implantation de sociétés étrangères sur son sol en échange d’un accès aux matières premières (terres rares).

Actuellement, l’administration de Xi Jinping mène un double combat : la fermeture des mines illégales de terres rares et la protection de l’environnement, ravagé par le lessivage des sols et la pollution due à l’exploitation des terres rares. Cette initiative s’accompagne d’un vaste mouvement de restructuration et de concentration de l’ensemble de la filière chinoise des terres rares autour d’un oligopole de champions nationaux au service de la diplomatie de Pékin. Ainsi, la Chine tient les métaux stratégiques indispensables aux principaux secteurs porteurs du XXIe siècle comme la robotique, l’aéronautique, la microélectronique et les énergies renouvelables et se positionne comme un acteur incontournable sur l’ensemble de la filière des terres rares.

Colombes, faucons et chouettes : 3 écoles de pensée des relations internationales

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L’analyse des relations internationales et de la politique internationale est largement déterminée par des courants de pensées d’origine anglo-saxonne. Dans le cadre de son intervention à l’École de Guerre Économique en partenariat avec la revue Conflits, Frédéric Munier rappelle qu’il existe plusieurs écoles dont 3 se révèlent particulièrement structurantes : l’internationalisme libéral (les colombes), le réalisme (les faucons) et le constructivisme social (les chouettes). À chacune ses grands principes cadres, ses penseurs, sa période dominante et son oiseau-symbole. L’influence de ces 3 écoles a modelé la politique étrangère américaine depuis plus d’un siècle. À l’approche des élections présidentielles américaines de 2016, penchons-nous sur les fondements de la politique internationale.

La chouette des constructivistes est aussi l'oiseau de Minerve, un animal nocturne symbole de la pensée stratégique
La chouette des constructivistes est aussi l’oiseau de Minerve, un animal nocturne symbole de la pensée stratégique

Les colombes libérales

Née dans le contexte post-Première Guerre mondiale, l’école libérale est le fruit d’un besoin de contrebalancement de la surenchère meurtrière de la Grande Guerre. Les théoriciens libéraux s’inspirent notamment des philosophes des Lumières mais aussi d’Emmanuel Kant et de son essai intitulé Vers la paix perpétuelle qui, comme son nom l’indique, esquisse un « projet de paix perpétuelle » dès 1795. Les colombes libérales construisent le soubassement théorique des « 14 points de Wilson » et sont à l’origine de la création en 1919 de la Société des Nations (SDN), l’ancêtre de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Le but des libéraux est de garantir la paix et la stabilité du système international de manière durable. Pour cela, les colombes misent sur le libre-échange (libéralisme économique), la diffusion de la démocratie et de l’État de droit, le respect des libertés individuelles et du droit international.

Selon elles, l’expansion des interdépendances économiques entre les États et le règlement des contentieux par le droit international et la diplomatie permettent de minimiser le risque de guerres futures. Les colombes libérales développent une forme d’horizon idéaliste, partant de la cruelle réalité de l’hécatombe de 1914-1918 pour mieux concevoir le monde tel qu’il devrait être. Leur théorie place l’individu, l’humain au centre du monde ; les États ayant pour rôle de servir leur peuple au sein d’un système international partagé avec des organisations régionales et internationales tout comme des ONG. Toutefois, les colombes libérales ne sont ni naïves ni adeptes d’un pacifisme forcené. Elles conçoivent la guerre comme un ultime recours qui peut se justifier dans certaines conditions, l’empêchement d’un génocide par exemple.

Les faucons réalistes

Le réalisme en relations internationales a été développé en réaction au libéralisme. Les faucons réalistes partent du constat de l’incapacité de la SDN, fondée par les libéraux, à enrayer la montée du fascisme, du nazisme et leur funeste conséquence : la Seconde Guerre mondiale. Dans l’histoire longue, le réalisme tire ses racines de penseurs comme Thucydide, Machiavel, mais aussi Hobbes (« l’homme est un loup pour l’homme ») ou Clauzevitz qui écrit que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Toutefois, c’est Hans Morgenthau qui fonde véritablement l’école réaliste telle que nous la connaissons grâce à son ouvrage, publié en 1948 : Politics Among Nations : the Struggle for Power and Peace. Il y énonce les piliers du réalisme : les États sont de loin les principaux architectes du système international ; ils évoluent dans un monde anarchique, les faits primant sur les principes et le droit international ; ils sont mus par la recherche permanente de la puissance ; ils agissent pour défendre leurs intérêts notamment par le moyen de la diplomatie secrète et par la guerre ; le monde des faucons réalistes n’est pas régi par le droit international mais par l’équilibre des puissances. L’école réaliste des relations internationales domine durant toute la Guerre froide. Proche de la realpolitik, elle influence grandement certains praticiens de la géopolitique comme Georges Kennan et Henry Kissinger.

Les chouettes constructivistes

L’école constructiviste s’est constituée en réaction aux courants réaliste et libéral à partir des années 1970 puis a connu un certain essor dans les années 1990 durant l’administration de Bill Clinton. Les chouettes constructivistes considèrent que le monde a changé : les États ne sont plus les seuls acteurs aux côtés des organisations internationales mais sont maintenant de plus en plus concurrencés par des ONG, des associations, les médias, les firmes multinationales, les groupes armés terroristes ou encore les mafias. Par conséquent, les grilles de lecture des relations internationales développées par les écoles antérieures sont désormais obsolètes. Joseph Nye, doyen d’Harvard, est un des grands penseurs du constructivisme social. En opposition à l’universitaire britannique Paul Kennedy qui affirme en 1987 dans son essai The Rise and Fall of Great Powers que les États-Unis connaissent un déclin irrémédiable à l’image de tous les grands empires du passé, Joseph Nye pronostique au contraire que la puissance américaine a encore de beaux jours devant elle.

Il introduit le concept de soft power et affirme que la nature de la puissance a changé. Tandis que Paul Kennedy ne prend en compte que la puissance coercitive (hard power), Nye affirme que les éléments intangibles de la puissance (le soft power) comme l’histoire, la culture, l’attractivité, le façonnement des identités, le storytelling, l’influence et la séduction sont au moins aussi importants dorénavant pour bâtir une véritable puissance. Reprenant le concept de « smart power » forgé par la diplomate américaine Suzanne Nossel, Joseph Nye affirme que les États-Unis continueront à dominer le monde s’ils parviennent à combiner de manière permanente et intelligente le hard power et le soft power. Conseiller proche de John Kerry (il était pressenti pour devenir secrétaire d’État si Kerry remportait les élections face à Bush fils en 2004), Joseph Nye a largement inspiré la doctrine Obama et la politique étrangère du « smart power » menée par Hillary Clinton de 2008 à 2012.

L’Ukraine et l’UE, quelle politique de voisinage ?

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Dans le cadre de sa politique de voisinage, l’Union européenne a lancé le Partenariat oriental en 2009. Le Partenariat oriental concerne 6 États postsoviétiques : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Cette politique vise à soutenir les efforts de ces pays en matière de réformes économiques, politiques et sociales mais aussi à améliorer la gouvernance, à faire progresser la démocratie, à adopter des initiatives sur le plan du développement durable et à renforcer la sécurité énergétique. L’Union européenne a signé des accords d’association avec 3 de ces pays : la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. L’Arménie et la Biélorussie ont choisi le projet concurrent sous leadership russe : l’Union économique eurasiatique.

L'accord d'association entré en vigueur provisoirement le 1er janvier 2016 témoigne d'un rapprochement entre l'UE et l'Ukraine
L’accord d’association, entré en vigueur provisoirement le 1er janvier 2016, témoigne d’un rapprochement entre l’UE et l’Ukraine.

L’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine a été négocié entre 2007 et 2012. Ce traité comporte 3 volets : dialogue et réformes politiques, coopération et commerce. Il engage les deux parties à faire converger leur politique économique mais aussi leur législation dans différents domaines et leurs pratiques en matière de développement durable. L’accord favorise une coopération approfondie en matière de défense et d’armement, de sécurité énergétique, de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Il facilite le déplacement des travailleurs entre l’UE et l’Ukraine mais surtout instaure une zone de libre-échange approfondi et complet : la ZLEAC.

L’accord est entré en vigueur à titre provisoire le 1er janvier 2016 (en attendant la ratification par le Conseil de l’Union européenne). Désormais, l’UE est le 1er partenaire commercial de l’Ukraine avec 31 % des échanges, devant la Russie (20 % des échanges). L’Ukraine ne constitue en revanche que le 22ème partenaire économique de l’UE. Les échanges sont assez déséquilibrés puisque l’Ukraine importe de l’UE principalement des biens manufacturés, des machines et des équipements de transports tandis qu’elles exportent des produits agricoles et miniers, des métaux et des machines. La balance commerciale de l’UE vis-à-vis de l’Ukraine était excédentaire de 10 milliards d’euros en 2013.

Rappelons qu’en novembre 2013 le précédent président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, avait finalement refusé de signer cet accord à Vilnius. Cette volte-face est l’élément déclencheur qui a engendré le mouvement de protestation pro-européen notamment sur la place Maïdan à Kiev. Cette révolte aboutit à la fuite et à la chute du président Ianoukovitch. Vladimir Poutine réagissait alors en annexant la Crimée dès mars 2014 et en soutenant officieusement le soulèvement séparatiste dans le Donbass en Ukraine orientale. La guerre civile ukrainienne a fait plus de 6 000 morts. Le nouveau président ukrainien, Petro Porochenko, est pro-européen et hostile au régime de Poutine.

Tous les pays de l’UE ont ratifié l’accord. Toutefois, un référendum consultatif était organisé au Pays-Bas le 6 avril 2016 concernant l’accord d’association UE-Ukraine. La victoire du NON confirme la montée de l’euroscepticisme et des nationalismes en Europe en plus de fragiliser cet accord.

Infographie Ukraine

La Thaïlande, entre croissance économique et fragilité politique

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Au sein de l’Asie émergente, la Thaïlande fait partie de la 2ème génération des nouveaux pays industrialisés (NPI) : les Tigres asiatiques (qui comprend aussi l’Indonésie, le Vietnam, la Malaisie et les Philippines). Cette génération succède à la 1ère que l’on appelle communément les Dragons asiatiques comprenant la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour, des pays considérés comme développés depuis les années 1990. D’après le modèle de développement dit « en vol d’oies sauvages », théorisé par l’économiste japonais Kaname Akamatsu (1937), la Thaïlande et les Tigres asiatiques constituent la dernière oie ayant décollé, bien après l’oie de tête (le Japon des années 1960) mais devant certains pays asiatiques les moins avancés à l’image du Laos, du Cambodge et de la Birmanie.

Le général Prayuth Chan-ocha, le nouvel homme fort de la Thaïlande à la suite de son coup d'Etat en 2014
Le général Prayuth Chan-ocha, le nouvel homme fort de la Thaïlande à la suite de son coup d’Etat en 2014

Situé entre l’océan Indien et la Mer de Chine méridionale, la Thaïlande bénéficie de sa position de carrefour régional. 2ème économie d’Asie du sud-est après l’Indonésie, la Thaïlande dispose d’une économie ouverte et diversifiée. Elle exporte notamment des biens électroniques, des automobiles, des machines et des produits agricoles. Le tourisme constitue un point central de l’économie thaïlandaise (20% du PIB). Le pays a ainsi accueilli 30 millions de visiteurs en 2015. Cependant, la santé économique du pays est mise en péril par la crise politique tout comme par le ralentissement économique chinois : la croissance thaïlandaise était de 7 % en 2012 et ne dépasse pas les 3 % en 2015.

Monarchie constitutionnelle depuis 1932, le roi de Thaïlande jouit d’un pouvoir symbolique mais aussi d’une forte autorité morale. Toutefois, l’histoire de la monarchie est rythmée par la succession d’une douzaine de coups d’état. Le dernier en date, en mai 2014, révèle l’ampleur d’un clivage politique national qui oppose les chemises rouges aux chemises jaunes. Les chemises rouges soutiennent le parti démocrate Pheu Thai, l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra (2001-2006) qui remet en cause la monarchie et soutient les populations rurales les moins aisées auprès desquelles il est particulièrement apprécié. Les chemises jaunes, quant à elles, regroupent une élite urbaine conservatrice, riche et favorable à la monarchie tout en récusant les principes démocratiques occidentaux. Ce clivage politique et économique est aussi géographique entre un nord pauvre acquis aux chemises rouges démocrates et un sud riche pro-chemises jaunes.

En 2014, les chemises jaunes appuyées par l’armée organisent un coup d’état qui vise le Premier ministre Yingluck Shinawatra (sœur de Thaksin), élue en 2011. La junte militaire au pouvoir est menée par le général Prayuth Chan-ocha. Cette instabilité politique est encore accentuée par la crise migratoire que connaît l’Asie du sud-est : 100 000 migrants quittaient la Birmanie et le Bangladesh voisins entre janvier 2014 et juin 2015.

 Infographie Thaïlande


L’Europe face au désordre stratégique international (1/3)

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Le mercredi 6 avril 2016, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) organisait une journée de conférences centrées sur l’Europe. 3 tables-ronde se succédaient : la première avait pour thème : Schengen, Brexit, euroscepticisme, extrémismes : comment ranimer le débat démocratique européen ? ; la seconde traitait du rôle de l’Union européenne sur les scènes régionale et internationale ; la troisième s’intitulait : vers une stratégie de défense européenne. Abordons maintenant le premier sujet : Schengen, Brexit, euroscepticisme, extrémismes : comment ranimer le débat démocratique européen ?

Face aux crises et aux menaces qui pèsent sur elle, l'Union européenne parviendra-t-elle à surmonter ce défi ?
Face aux crises et aux menaces qui pèsent sur elle, l’Union européenne parviendra-t-elle à surmonter ce défi ?

Jean Quatremer, journaliste spécialiste de l’Europe, ouvre le débat avec un constat relativement alarmant : « Le paysage est dévasté en Europe ». Selon lui, la succession des crises financière, économique, celle de la zone euro et celle des réfugiés menacent le projet européen dans l’indifférence générale des citoyens européens. La Commission européenne s’est affaiblie voire suicidée et c’est désormais le Conseil européen (le conseil des 28 chefs d’Etat) qui décident de tout, la Commission européenne ayant perdu l’essentiel de son pouvoir. La possibilité d’un Brexit, la montée des extrémismes et de l’euroscepticisme alimentent la désintégration de l’Union européenne. Jean Quatremer insiste sur le fait que nous avons intégré trop vite les pays d’Europe orientale qui voient l’UE comme un porte-monnaie mais n’en partagent pas les valeurs.

Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne (1999-2004) et ancien Premier ministre italien, intervenait ensuite. Selon lui, durant son temps à la Commission, la construction de l’élargissement et la constitution européenne avaient déjà pour but de contrer les nationalismes qui montaient. La Commission avait du pouvoir à l’époque. Aujourd’hui le pouvoir est détenu par le Conseil européen et donc les Etats qui se réunissent chaque mois. Déjà du temps de Romano Prodi à la tête de la Commission européenne, le problème central était le manque d’implication et l’absence de prise de position de la France. L’Allemagne était présente mais seule. Selon Romano Prodi, les Allemands commandent aujourd’hui à Bruxelles car personne ne veut plus relancer le projet et prendre une position forte. Pour l’économiste qu’il est, le Pacte de stabilité et plus largement les politiques d’austérité sont stupides car parfois un pays peut avoir besoin de creuser son déficit ponctuellement pour mieux rebondir à moyen terme. Il a donc pour cela besoin de souplesse et non d’austérité.

Un des manquements de l’Union européenne était qu’il n’existait aucun contrôle commun des comptes ce qui explique les erreurs de la Grèce. Pour Romano Prodi, le Conseil européen était inutile pour gérer la crise grecque car l’Allemagne décide seule et la Grèce est spectatrice. La crise migratoire est encore plus grave que la crise grecque car ce n’est plus un problème d’argent mais un problème culturel et de civilisation. Il s’agit presque d’un problème psychologique puisque les migrations font peur aux citoyens européens qui les perçoivent comme des menaces.

Romano Prodi concluait par une comparaison historique. Au XVe siècle, l’Italie était à l’avant-garde : c’était une grande puissance méditerranéenne. Mais lors des Grandes découvertes menée par les Espagnols et les Portugais, l’Italie est restée divisée et s’est retrouvée déclassée au lieu de poursuivre la course technologique et bâtir de plus grandes caravelles pour rivaliser avec les Espagnols et les Portugais sur les océans. Aujourd’hui, l’Union européenne se trouve dans la même situation que l’Italie jadis. Les nouvelles caravelles sont américaines et chinoises. Elles s’appellent AliBaba, Google ou Apple et l’Europe n’a rien à proposer en face. Et de conclure avec une anecdote sans appel : « Après ma retraite politique, j’ai enseigné pendant 6 ans à la China Europe International Business School de Pékin. La 1ère année les étudiants chinois voulaient tous un cours sur l’UE, la dernière année plus aucun Chinois n’en voulait ». C’est l’image même de l’Europe, son soft power qui est désormais entamé.

L’Europe face au désordre stratégique international (2/3)

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Le mercredi 6 avril, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) organisait une journée de conférences centrées sur l’Europe. Nous avons abordé la semaine passée la première table-ronde qui avait pour thème : Schengen, Brexit, euroscepticisme, extrémismes : comment ranimer le débat démocratique européen ? Concentrons-nous désormais sur la seconde table-ronde qui traitait du rôle de l’Union européenne sur les scènes régionale et internationale.

Quelle politique étrangère l'Union européenne doit-elle bâtir ?
Quelle politique étrangère l’Union européenne doit-elle bâtir ?

Manuel Lafont Rapnouil, directeur du bureau de Paris du European Council of Foreign Relations, intervenait en premier. Selon lui, l’Union européenne se concentre surtout sur la politique de voisinage. Or son voisinage n’est pas un anneau d’amis mais un anneau en feu (crise ukrainienne, guerre syrienne, conflit israélo-palestinien, chaos libyen, filières terroristes et mafieuses sahéliennes). L’UE n’est pas assez audacieuse et sa politique étrangère est trop limitée. Quelle est sa politique asiatique ? africaine ? Elle n’en a aucune. Pour combler cette carence, il faut sortir du voisinage et voir plus grand c’est-à-dire édifier une diplomatie européenne à l’échelle mondiale. Sans de véritables objectifs de long terme en matière de politique étrangère, l’Europe subit le retour de la guerre en son sein notamment via l’Ukraine et l’annexion de la Crimée mais aussi la crise des migrants. Concernant la crise migratoire, nous sommes doublement naïfs de vouloir créer une Europe forteresse contre les migrants tout en pensant que c’est un problème strictement européen alors que c’est un problème mondial.

L’ordre mondial se redessine avec de plus en plus d’acteurs ce qui relativise la puissance européenne. L’Union européenne dispose déjà d’une expérience en termes d’action diplomatique : création du Service européen pour l’action extérieur, autonomie stratégique certes limitée mais opérationnelle, capacité militaire, sanctions, missions civiles, civilo-militaires et militaires, action diplomatique (rapprochement Serbie-Kosovo, Iran). L’UE agit également via le droit et les normes (Traité sur les armes). Elle porte bien souvent l’ONU dans ses opérations de maintien de la paix mais l’UE n’est pas l’ONU. Elle doit avoir une vision stratégique, de vrais objectifs et doit se doter d’un organe de prospective pour être davantage dans l’anticipation plutôt que dans la réaction. Mais pour cela il lui faut un nouveau projet, une véritable stratégie et un leadership affirmé (et non un leadership allemand par défaut).

Enrico Letta, ancien Premier ministre italien, poursuivait. Il rappelait que les BRICS, même s’ils sont en crise, ont dépassé l’économie de l’UE. Dans le G7 aujourd’hui, il y a 9 personnes dont 6 Européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie ainsi que le président de la Commission européenne et le président du Conseil européen). Or dans 20 ans, il n’y aura plus un seul pays européen dans le G7. Le monde bascule et le rattrapage est largement amorcé. Enrico Letta ajoutait avec une pincée d’humour : « En Europe, il y a deux catégories de pays : les petits pays et les pays qui n’ont pas encore compris qu’ils étaient petits ». Pour remédier au décrochage des pays européens, il faudrait selon lui un récit complétement différent. Il s’agirait de dire aux citoyens en quoi la nouvelle Europe est utile. Il faut raconter le récit que seule l’Europe peut fournir plus de sécurité à ses citoyens. L’Europe ne doit pas seulement être ressenti comme le froid de la mondialisation mais au contraire elle doit être présentée comme étant capable de protéger ses citoyens.

Cela ne sert à rien de fermer les frontières, s’il n’y a pas de partage d’informations entre les services de police et de renseignement des pays européens. Enrico Letta appelait alors de ses vœux la création d’un FBI européen. Il rappelait à juste titre que le problème migratoire est devenu européen seulement lorsque l’Allemagne a été touchée par les migrations. Cela illustre la panne de leadership de l’Europe en termes de politique étrangère. Et de conclure : « L’Europe n’est pas seulement un rêve ou un devoir, elle doit être utile et nécessaire pour tous ».

L’Europe face au désordre stratégique international (3/3)

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Le mercredi 6 avril, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) organisait une journée de conférences centrées sur l’Europe. Nous avons déjà abordé la première table-ronde intitulée : Schengen, Brexit, euroscepticisme, extrémismes : comment ranimer le débat démocratique européen ? et la seconde table-ronde qui traitait du rôle de l’Union européenne sur les scènes régionale et internationale. Place désormais à la troisième table-ronde qui s’intitulait : Vers une stratégie de défense européenne.

L'Europe parviendra-t-elle à construire une stratégie de défense commune suffisamment solide pour faire face aux défis et aux menaces qui pèsent sur elle ?
L’Europe parviendra-t-elle à construire une stratégie de défense commune suffisamment solide pour faire face aux défis et aux menaces qui pèsent sur elle ?

Michèle Alliot-Marie, députée européenne et ancienne ministre de la défense, prenait tout d’abord la parole. Elle rappelle qu’en 2002 déjà, lorsqu’elle prend ses fonctions de ministre de la défense, Jacques Chirac lui fixe 3 priorités dont la construction d’une défense européenne. Or, aujourd’hui nous avons encore plus besoin d’une défense européenne car nous sommes confrontés à des défis urgents. Avec la chute du mur de Berlin, nous n’avons pas touché les dividendes de la paix. Au contraire, les crises et les menaces se sont multipliées aux portes de l’Europe : prolifération des zones grises (Irak, Syrie, Libye, Sahel, Ukraine orientale) sur fond de crise migratoire qui ne fait que commencer. En outre, nous assistons au retour de conflits de plus long terme à propos de l’accès aux denrées alimentaires, à l’eau, aux ressources énergétiques et stratégiques.

L’UE a la nécessité de continuer à peser sur la scène internationale sinon la Chine, l’Inde et plus tard d’autres pays émergents imposeront leur politique. Mais l’UE ne pourra pas continuer à peser si elle demeure une puissance strictement économique. Elle doit devenir une puissance politique et diplomatique. Or, il n’y a pas de diplomatie digne de ce nom sans défense. C’est pourquoi il est indispensable de former une structure européenne de géostratégie et de prospective. De plus, opposer l’OTAN à l’Europe de la défense n’a pas de sens. L’OTAN est une machine lourde (beaucoup d’hommes et de matériel…) tandis que l’Europe est un commando plus rapide, plus souple, plus réactif, idéal pour agir vite en cas de crise. Il y a donc une complémentarité à articuler et à engager entre la défense européenne et l’OTAN. Mais il faut y mettre l’argent. Le Royaume-Uni fait d’ailleurs beaucoup d’effort avec la France et l’Allemagne pour la défense. Par contre, d’autres pays européens sont hypocrites et se comportent en passager clandestin.

Michèle Alliot-Marie préconise alors de fixer un pourcentage minimum accordé au budget de défense pour tous les pays de l’Union européenne (de l’ordre de 1,8 à 2% du PIB). L’argent serait utilisé en privilégiant les armements européens afin de garantir l’indépendance stratégique de l’Europe et préserver les emplois de l’industrie de défense européenne. En outre, l’Europe pâtit d’un manque de diffusion de la culture stratégique malgré les efforts d’organismes comme l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN). Sur ce plan, les Etats-Unis sont largement en avance sur les Européens notamment grâce à la collaboration étroite entre Hollywood et le Pentagone. Nous construirons l’Europe de la défense en multipliant les opérations pour faire converger les politiques étrangères des Etats européens.

Joachim Bitterlich, ancien ambassadeur allemand, poursuit. Selon lui, l’UE est boiteuse car elle possède une tactique mais pas de stratégie. Il propose une nouvelle feuille de route en 5 points à l’horizon 2020 : 1) l’appréciation qui regroupe l’analyse stratégique et le partage de renseignement, 2) la planification : il faut adapter les structures de nos armées pour qu’elles soient compatibles, 3) l’armement : penser en commun et avoir une industrie européenne, 4) la mutualisation : spécialisation des uns et des autres et 5) le commandement : avoir des procédures communes.

Emilio Lamo de Espinosa, président du Real Institut Elcano, affirme à son tour que le monde est multipolaire mais non multilatérale. Nous n’avons pas d’instrument de gestion et de gouvernance mondiale alors que les défis sont globaux. Du fait du retrait américain, nous n’avons ni G20, ni G2 mais un G0. Pour lui, beaucoup d’Etats européens ont une approche naïve de la géostratégie car nous ne pouvons pas devenir la Suisse du monde. Notre soft power est menacé. Il faut arrêter de croire au modèle westphalien qui est dépassé. Pourquoi entretenir 28 mini armées constituées pour protéger leurs petits territoires contre une hypothétique tentative d’invasion du voisin ? Il est temps de repenser notre stratégie globale en tenant compte des différences colossales qui existent de part et d’autre de la Méditerranée : démographique, politique, économique, culturelle, historique, de sécurité. La tâche la plus urgente est la répartition des migrants ainsi que la prévention à la source en renforçant la sécurité dans les pays d’Afrique. Nous sommes entourés d’un anneau de feu et cherchons désespérément des alliés. L’Europe doit se tourner vers ses alliés oubliés : les pays d’Amérique du Sud. Et de conclure : « Aujourd’hui dans l’Europe et son voisinage, nous avons trop de crises et trop peu de leadership ».

La France au défi du terrorisme (1/2)

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Mercredi 20 avril 2016, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) recevait Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, pour une conférence sur les défis du terrorisme.

Comment la France pourrait-elle lutter plus efficacement contre les réseaux terroristes ?
Comment la France pourrait-elle lutter plus efficacement contre les réseaux terroristes ?

Bernard Cazeneuve commence son intervention par le rappel de la dégradation de la situation géostratégique dans le voisinage de l’Europe. En effet, l’Irak et la Syrie connaissent la guerre, la Libye est la proie d’organisations mafieuses à la tête des trafics d’armes, de stupéfiants et d’êtres humains. Désormais, des individus européens vont en Libye via les réseaux de Daech et certains vont de Syrie vers la Libye. Des commandos terroristes se fondent dans les flux de migrants. Les groupes armés terroristes qui parcourent la bande sahélienne constituent un risque sécuritaire pour les pays locaux mais aussi pour les intérêts occidentaux et français. Le contexte est donc très difficile aux abords de l’Europe et appelle des mesures à l’échelle européenne.

A l’échelle de la France aujourd’hui, le niveau de menace est au moins aussi élevé que lors du 13 novembre 2015. Quelle est la menace ? Les individus sont partis pour certains depuis plusieurs années sur des théâtres d’opérations extérieurs : ils y ont connu des crimes d’une horreur sans nom. Le risque de prolongation de la barbarie lors du retour de ces citoyens européens est élevé. Pour eux, les digues de la raison sont tombées mais quelques espoirs de repentir subsistent tout de même. Depuis 2013, 18 filières terroristes ont été démantelées : il s’agit de filières d’acheminement, d’endoctrinement, de préparation de voyage et de recrutement. L’autoradicalisation via internet est aussi très importante et tend désormais à supplanter la radicalisation dans les mosquées. Ce n’est pas une radicalisation de surface, le phénomène est plus profond. 2 000 de nos ressortissants sont concernés (en cours d’endoctrinement), 600 Français sont en Syrie et en Irak dont 350 sont quelque part sur le chemin du retour. Le phénomène n’est donc pas numériquement anodin.

Lors du 13 novembre, un changement de mode opératoire a eu lieu. Les terroristes sont passés de l’attentat suicide classique et du crime ciblé (Charlie Hebdo) au commando afin de commettre un crime de masse. Dans le cas du 13 novembre, ce sont pour la plupart des non Français ou des Français qui ne résident plus en France. Beaucoup avaient de faux passeports ce qui démontrent l’interpénétration des filières terroristes et du crime organisé.

Que faire pour contrer la menace terroriste à l’échelon européen ?

Bernard Cazeneuve affirme avoir demandé il y a 20 mois une modification de la directive européenne sur la lutte contre le trafic d’armes. Or, on lui a répondu que les experts du marché intérieur de l’UE considèrent les armes comme des marchandises comme les autres. C’est un problème de lobbying : les groupes de pression de l’industrie de l’armement montent des campagnes pour influencer les ball-trap et les chasseurs afin de faire échouer toute tentative de modification touchant le marché des armes. En outre, Bernard Cazeneuve souhaite renforcer les contrôles aux frontières extérieurs de l’espace Schengen et pour cela faire monter en puissance l’agence FRONTEX. Il faut aussi mieux référencer et alimenter les bases de données existantes comme le SIS (Service d’information Schengen) et l’Eurodac (système informatisé de reconnaissance digitale de l’UE). Ces bases de données devraient être utilisées de manière plus intensive pour détecter les terroristes.

La France au défi du terrorisme (2/2)

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Mercredi 20 avril 2016, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) recevait Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, pour une conférence sur les défis du terrorisme. Lors d’un précédent article la semaine passée, nous avons abordé le contexte géostratégique actuel qui favorise la montée du terrorisme et nous avons cité les mesures nécessaires pour enrayer le terrorisme à l’échelon européen. Voyons désormais quel est le dispositif national de lutte antiterroriste.

L'état d'urgence permet-il de faire reculer les filières terroristes en France ?
L’état d’urgence permet-il de faire reculer les filières terroristes en France ?

Sur le plan national, quelles sont les dispositions prises pour lutter plus efficacement contre les réseaux terroristes ?

Bernard Cazeneuve prend la parole. Sur le plan du renseignement, le dispositif UCLAT (unité de coordination de la lutte antiterroriste) joue un rôle central dans la fluidité du partage du renseignement. L’UCLAT favorise la coordination du premier cercle du renseignement c’est-à-dire la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avec le second cercle qui comprend le Service central du renseignement territorial (SCRT). De plus, l’EMOPT (Etat-major opérationnel de prévention du terrorisme) a été créé en juin 2015 dans le but d’assurer le suivi des individus en voie de radicalisation. L’EMOPT comprend un personnel varié issu de différents services et c’est pourquoi il s’inscrit dans une logique transversale, de décloisonnement et de partage de l’information. Bernard Cazeneuve constate cependant un manque d’ouverture du ministère de l’Intérieur sur l’université mais aussi sur le ministère de la Défense et sur celui des Affaires étrangères. Ce sont les principaux chantiers qu’il souhaite engager ainsi que celui de la création d’une direction de la prospective au sein du ministère de l’Intérieur. Il rappelle également la signature de conventions avec les grandes entreprises de l’internet dans la Silicon Valley. Selon lui, les résultats sont bons en termes de signalement et de fermeture des blogs faisant l’apologie du terrorisme.

L’état d’urgence est-il efficace ? Comporte-t-il un danger pour les libertés ?

Lors de chaque attentat, les mêmes failles sont pointées du doigt : pas assez de moyens humains et trop de technologie. Or, d’ici la fin du quinquennat, 9 000 emplois auront été créés dans la police et les forces de l’ordre. 1 500 emplois concernent les services de renseignement dont 500 à la DGSI et 500 au SCRT. Selon Bernard Cazeneuve, l’état d’urgence n’est pas un état d’exception qui menace la démocratie. Ce n’est pas une menace de l’état de droit. Il permet de protéger la république mais ne menace pas les libertés publiques. Il permet aussi des perquisitions poussées : 550 armes dont 200 armes guerre récupérées. Il a permis d’expulser 80 prêcheurs de haine ainsi que de fermer des mosquées alors qu’avant 2012, aucune mosquée n’avait été fermée. Toutefois, l’état d’urgence n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte antiterroriste. Il est donc nécessaire de veiller à l’équilibre entre la préservation des libertés et la garantie de la sécurité.

Quid du traitement médiatique des attentats terroristes ?

Bernard Cazeneuve regrette que le débat s’éloigne du respect et de l’esprit de compromis, de l’analyse et de la réflexion pour entrer dans la radicalité et la violence. Après un attentat, certains articles de presse mettent en cause les services de renseignement intérieur. Or aucun service de renseignement européen n’avait identifié ni signalé les individus du 13 novembre comme terroristes (certains étaient seulement connus pour des faits de délinquance). En outre, seulement 2 des assaillants sont de nationalité française. Il ne faut ni chercher à cacher la vérité ni l’instrumentaliser à des fins politiques. Et de conclure : « En matière de terrorisme, la communication doit être rigoureuse et millimétrée ».

La géopolitique des éléments ou les 4 grands défis du XXIe siècle

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À l’occasion de la parution du dernier livre des Yeux du Monde intitulé Panorama des ressources mondiales, Acteurs et enjeux du XXIe siècle (Les Editions du Net, mars 2016), penchons-nous sur les grands défis que l’humanité a et aura à surmonter au cours du siècle. Sans surprise, ces défis concernent tous directement ou indirectement la gestion des ressources naturelles. À y regarder de plus près, ils redessinent les 4 éléments décrits par le philosophe grec antique Empédocle (Ve siècle av. J.-C.) : l’air, l’eau, la terre et le feu.

L'air (climat), l'eau, la terre et le feu (énergie), 4 éléments qui esquissent les principaux défis géopolitiques de l'humanité au XXIe siècle
L’air (climat), l’eau, la terre et le feu (énergie), 4 éléments qui esquissent les principaux défis géopolitiques de l’humanité au XXIe siècle

L’air

Selon cette métaphore, l’élément « air » désigne le climat. En effet, la question du réchauffement climatique se révèle absolument centrale pour le devenir de l’humanité. Organisée à Paris en décembre 2015, la COP21 a été l’occasion de réunir 195 États autour de cette thématique. Il en résulte l’accord de Paris qui oblige les pays à contenir l’augmentation de la température terrestre moyenne sous le seuil de 2°C voire de 1,5°C. Un enjeu majeur pour les populations du monde entier différemment affectées par le réchauffement climatique : désertification dans le Sahel, hausse du niveau des mers qui menace d’engloutir certaines îles (Maldives, Tuvalu, Grenade, Cuba) et bordures littorales (Pays-Bas, Birmanie), augmentation et intensification des catastrophes naturelles ou plus simplement pollution extrême de l’air due aux rejets de gaz nocifs dans l’atmosphère (Chine).

L’eau

L’accès des populations à l’eau douce devrait demeurer un problème crucial. De fait, le réchauffement climatique dérègle le cycle de l’eau. Il en résulte la désertification de certaines régions du monde et un accroissement des pluies diluviennes sur d’autres. La répartition chaotique des précipitations lance un défi aux Etats qui devront trouver des parades efficaces sur le long terme tant pour abreuver leur société que pour irriguer les cultures ou produire de l’hydroélectricité. Les progrès technologiques (usines de dessalement d’eau de mer) mais surtout un changement du mode de production (agriculture économe en eau) devront voir le jour car, sans cela, il faudra probablement gérer des migrants de la soif voire des conflits inter ou intra étatiques, dus en partie à la gestion de l’eau.

La terre

Maîtrise et convoitise des territoires sont traditionnellement au cœur des conflits entre les sociétés et constituent donc l’essence de la géopolitique. Néanmoins, du fait de l’accroissement de la population mondiale (7 milliards d’habitants aujourd’hui, potentiellement 9 milliards en 2050) et de l’augmentation de la consommation des ménages des pays émergents et en développement, la sécurité alimentaire devrait devenir l’un des défis majeurs de l’humanité. Selon la FAO, la demande en nourriture, aliments pour le bétail et fibres textiles devrait bondir de 60 % d’ici 2050. Or, cette préoccupation alimente ce que l’on appelle le land grabbing (accaparement des terres). Des fonds d’investissement privés ainsi que des Etats achètent ou louent des terres étrangères. Ainsi entre 2000 et 2016, environ 1 200 contrats de ce type ont été signés pour une superficie de terres achetées (ou louées) d’environ 430 000 km2, soit les superficies de l’Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bays cumulées. Les pays les plus touchés se trouvent principalement en Afrique (Soudan, RDC, Tanzanie) mais aussi l’Ukraine par exemple. Sachant que seulement 9 % des terres concernées par le land grabbing sont exclusivement réservées à l’alimentation, des tensions sont à prévoir sur ces terres convoitées desquelles les paysans locaux sont le plus souvent expropriés. En outre, l’accès aux métaux stratégiques et donc aux terrains les contenant deviendra une préoccupation centrale pour les grandes puissances de demain.

Le feu

Enfin, le feu symbolise ici l’énergie. Les hydrocarbures (pétrole et gaz) demeureront des matières premières convoitées. En effet, les réseaux d’oléoducs et de gazoducs sont au fondement de ce que l’on appelle la « géopolitique des tubes ». L’augmentation de la demande énergétique devrait logiquement accentuer la pression sur des ressources en voie de raréfaction. Dans ce contexte, la transition énergétique – c’est-à-dire le passage d’une économie fondée principalement sur des énergies fossiles, grosses émettrices de gaz à effet de serre, à un modèle centré sur les énergies renouvelables – devient le nouvel horizon des politiques énergétiques progressistes. Cependant, la lutte contre le réchauffement climatique et donc le nécessaire besoin de diminution des rejets carbonés ne doivent pas masquer une réalité environnementale plus globale. En effet, les énergies alternatives comme le solaire et l’éolien sont fortement consommatrices de métaux rares. Ainsi, le risque serait de remplacer les puits de pétrole par des milliers de mines polluantes afin d’extraire les métaux stratégiques comme le néodyme et le dysprosium (éolien) ou encore le germanium et l’indium (solaire). N’oublions jamais que la préservation de l’environnement ne se réduit pas à la lutte contre le réchauffement climatique.

En somme, l’air (climat), l’eau, la terre et le feu (énergie) constituent bien les quatre éléments fondamentaux qui seront très probablement au cœur des principaux défis géopolitiques du XXIe siècle.

Si vous souhaitez approfondir ces questions passionnantes, vous trouverez des explications claires illustrées d’exemples précis dans le dernier ouvrage des Yeux du Monde intitulé Panorama des ressources mondiales, disponible en cliquant sur ce lien.

Les drones militaires français à l’horizon 2020 (1/2)

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Le mercredi 18 mai 2016, l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) et le Collège d’enseignement supérieur de l’Armée de terre (CESAT) organisaient un colloque intitulé : « Quels drones pour quels usages à l’horizon 2020 ? ». La première table-ronde portait sur les besoins opérationnels des forces françaises en drones à l’horizon 2020.

Les drones, symbole de l'innovation au coeur de l'armée française
Les drones, symbole de l’innovation au coeur de l’armée française

Il s’agit tout d’abord de rappeler l’intérêt des drones. Etant inhabité et piloté à distance, le drone permet d’atteindre des zones inaccessibles, dangereuses et/ou sales (menace NRBC*), sans risquer la vie d’un équipage. Le second aspect, et non le moindre, est la formidable capacité d’endurance des drones qui pour certains peuvent voler sans interruption ni ravitaillement pendant 24h. Par conséquent, la principale mission des drones demeure le renseignement et l’acquisition d’information notamment lors des mission dites ISTAR**.

La France n’a pas découvert les drones ces dernières années. Cela fait environ 50 ans que l’armée française emploie des drones. Les premiers s’appelaient le R20, le CL89 et le CL289, puis il y eut le MART (Mini avion de reconnaissance télépiloté), le Crécerelle, le SDTI (Système de drone tactique intérimaire), le Harfang et enfin le Reaper. Ces drones ont été déployés sur de multiples théâtres d’opérations extérieures dont l’Irak (durant la guerre du Golfe), la Bosnie, le Kosovo, le Tchad et plus récemment l’Afghanistan, la Libye et le Mali. Certains appartiennent à la catégorie des drones tactiques comme le drone Hunter ou le DRAC (Drone de Reconnaissance au Contact) qui opère dans un rayon restreint d’une dizaine de kilomètres maximum. D’autres relèvent d’une approche opérative et stratégique comme le Harfang et le Reaper, deux drones MALE (Moyenne Altitude, Longue Endurance). L’ensemble de ces différents drones est utilisé pour une large gamme de missions, allant de la préparation (drone éclaireur) à l’évaluation des pertes adverses en passant par l’accompagnement des manœuvres militaires.

Des besoins aériens et navals conséquents

Cependant, l’Armée de l’air française a éprouvé le besoin de moderniser et d’augmenter ses drones en 2013 lors de l’opération Serval au Mali. La bande sahélo-saharienne étant immense, le drone Harfang (1 tonne) y a montré rapidement ses limites. C’est pourquoi les premiers drones américains MQ-9 Reaper (5 tonnes) ont été commandés et livrés en un temps record. Actuellement, les capacités des drones Reaper de l’armée de l’air lui permettent d’effectuer des vols de reconnaissance et de surveillance 24h/24 durant 10 jours sans interruption. C’est pourquoi le COS*** considère l’intégration du drone Reaper dans l’armée française comme le « game changer » en opération extérieure.

Concernant la Marine française, ses besoins en termes de surveillance maritime sont colossaux. En effet, la France bénéficie de la 2nde plus vaste zone économique exclusive (ZEE) au monde avec 11,5 millions de km2, derrière les Etats-Unis (12 millions de km2). Pourtant, la Marine ne dispose pas à ce jour de drones MALE mais envisage d’en installer à l’avenir sur son porte-avion et ses bâtiments de projection et de commandement (BPC) type Mistral. Des drones VTOL**** sont en cours d’expérimentation et pourraient équiper les frégates françaises à l’horizon 2023. Les nouveaux axes de développement de drones pour la Marine concernent les drones de surface (drones sur l’eau) notamment pour la protection portuaire mais aussi les drones sous-marins (type glider) et mini sous-marins. En effet, les besoins de surveillance sous-marine sont en recrudescence depuis la détection d’un sous-marin russe au large des côtes françaises en janvier 2016. En outre, la Marine prépare le renouvellement de sa capacité de déminage grâce au programme SLAMF (Système de lutte anti-mines marines futurs) qui comprend des drones démineurs développés dans le cadre d’une coopération franco-britannique.

*NRBC : Nucléaire, Radiologique, Bactériologique, Chimique

**ISTAR : Intelligence Surveillance Target Acquisition and Reconnaissance

***COS : Commandement des opérations spéciales

****VTOL : Vertical take-off and landing (drone à hélices)


Les drones militaires français à l’horizon 2020 (2/2)

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Le mercredi 18 mai 2016, l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) et le Collège d’enseignement supérieur de l’Armée de terre (CESAT) organisaient un colloque intitulé : « Quels drones pour quels usages à l’horizon 2020 ? ». Dans une première partie, nous avons dressé un aperçu de l’intérêt des drones et des besoins opérationnels des armées françaises. Désormais, attachons-nous à expliciter les principales limites et les risques quant à l’usage des drones militaires.

Le drone européen nEUROn et l'avion de combat français Rafale
Le drone européen nEUROn et l’avion de combat français Rafale

La première limite des drones concerne leur usage : quelles missions donner aux drones ? Quelles zones surveiller et quelles réponses apporter ? Ainsi, l’utilisation des drones pour surveiller le territoire français a déjà commencé. En effet, si aujourd’hui environ 95 % des missions requérant un drone concernent les opérations extérieures, les 5 % restants comprennent des vols dans le ciel de France. Ces missions ont lieu le plus souvent durant de grands événements comme l’organisation du G8 à Deauville et du G20 à Cannes en 2011. Ce sera également le cas lors de l’Euro 2016 de football.

L’usage des drones en France lance 3 défis aux autorités. Premièrement, des difficultés concernant la coordination du trafic aérien peuvent apparaître (environ 10 000 aéronefs circulent chaque jour en France). Ensuite, ce sont les moyens de l’armée qui constituent une limite, aussi bien en termes d’équipements (nombre de drones et d’installations) que de ressources humaines ; l’ensemble étant proche du point de saturation étant donné le nombre d’Opex* en cours et l’opération Sentinelle sur le territoire français. Enfin, cela lance un défi aux autorités françaises en matière de coordination interministérielle et de contraintes réglementaires. Toutefois, la France s’est dotée en 2007 du centre national des opérations aériennes (CNOA) sous la houlette du Premier ministre (donc interministériel). Il s’agit du centre névralgique de la défense aérienne française. En outre, la France possède une double circulation (civile et militaire) ce qui n’est pas le cas d’autres pays européens, bloqués en termes réglementaires.

Une multiplicité de limites et de risques inhérents à l’usage des drones

Plus généralement, l’apport informationnel des drones est si précieux qu’il existe un risque de dépendance accrue des armées aux drones et à leurs capacités d’acquisition de renseignement. En outre, ce phénomène de dépendance est accentué par la révolution de l’imagerie en temps réel (après avoir été longtemps en temps différé). D’autres risques et limites concernent le drone lui-même. En effet, celui-ci est soumis aux aléas météorologiques : sa vitesse étant lente pour préserver son endurance, il est préférable de faire voler le drone par temps clair. En outre, le drone est vulnérable sur le plan des cyberattaques et a donc besoin d’une supériorité cybernétique pour être déployé sur le terrain de l’ennemi. Par exemple, un drone américain de type Reaper a ainsi été piraté durant un vol en Irak. Sur le plan des contre-mesures radar, les drones sont aussi très vulnérables ce qui implique de posséder une suprématie aérienne pour faire voler ses drones. Actuellement en Opex, la France jouit de cette suprématie aérienne ce qui lui facilite grandement la tâche mais cela pourrait changer à l’horizon 2030-2035. Le formidable atout des drones et le sentiment d’omnipotence qu’ils confèrent pourraient alors se métamorphoser en faiblesse.

Hormis le fait de ne pas exposer physiquement leur pilote, les drones ont jusqu’à maintenant un avantage majeur sur les avions de combat : leur prix modéré. Cependant, les futurs drones technologiquement les plus aboutis, à l’image du démonstrateur européen nEUROn, seront quant à eux bien plus chers que les drones actuels et pèseront davantage sur les budgets de défense. Face à une technologie de plus en plus onéreuse, la première limite sera sans doute la limite budgétaire. Enfin, la dernière limite envisagée ici, et non la moindre, est la limite éthique. En effet, la robotisation avancée des forces armées risque un jour d’aboutir à l’exclusion de l’humain du champ de bataille pour le remplacer par des machines autonomes. Ainsi, un drone muni d’une intelligence artificielle pourrait être capable, seul, de cibler et d’ouvrir le feu sur un humain.

*Opex : opérations extérieures

Euro 2016, entre soft power et sécurité (1/2)

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Mercredi 25 mai 2016, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) organisait une conférence intitulée : « Euro 2016 : les défis pour l’image et la sécurité ». La France a le privilège d’accueillir l’Euro de football, le 3ème événement le plus médiatisé au monde, après les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde de football. La compétition se déroulera du 10 juin au 10 juillet 2016. Dans le contexte post-attentats que nous connaissons, ce sera l’occasion pour la France de bonifier son image à l’international tout en répondant au défi sécuritaire qui l’attend. 

La France accueille l'Euro 2016 du 10 juin au 10 juillet 2016
La France accueille l’Euro de football du 10 juin au 10 juillet 2016

Le sport n’est pas traditionnellement reconnu comme un élément de la diplomatie française ; les relations internationales étant considérées comme une chose sérieuse confiée à des spécialistes tandis que le sport, et encore plus le football, appartiendraient exclusivement au registre du divertissement populaire. Pourtant, l’Euro 2016 constitue une formidable opportunité pour la France de développer son soft power. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, l’avait bien compris et c’est pour cela qu’il créa le poste d’ambassadeur du sport en 2014. Son rôle est de bâtir la stratégie d’influence de la France dans le domaine du sport.

Pour l’Euro 2016, tous les acteurs sont mobilisés notamment les ministères (Sports, Culture, Économie et Finances, MAEDI) mais aussi des opérateurs comme Business France, Atout France et la Direction générale des entreprises. Le Plan interministériel d’action pour le football a été conçu afin de fixer les 4 grands objectifs de l’organisation de l’Euro 2016 : assurer une haute qualité d’organisation, faire de l’Euro un événement populaire (par et pour tous), mettre l’Euro au service de la croissance, de l’emploi et de l’attractivité de la France et enfin diffuser les valeurs du sport.

Surtout, le ministère des Affaires étrangères et du Développement international met tout en œuvre pour placer l’Euro 2016 au cœur de sa stratégie de marketing pays et de nation branding. La marque « France » y est largement relayée. 1 million de touristes étrangers sont attendus lors de l’Euro 2016 et environ 7,5 millions de supporters dont 2,5 millions dans les stades (les autres assistant aux matchs dans des « fans zones » avec écrans géants ou dans des bars et autres lieux festifs). Le but des autorités françaises est de maximiser les retombées économiques en faisant circuler les touristes dans les 10 villes organisatrices (Bordeaux, Lens, Lille, Lyon, Marseille, Nice, Paris, Saint-Denis, Saint-Etienne, Toulouse). Ainsi, c’est un véritable pèlerinage français qui est planifié par le comité d’organisation de l’Euro 2016 en partenariat avec Atout France, l’agence de développement touristique de la France. Le Centre de Droit et d’Économie du Sport (CDES) prévoit selon son étude environ 1,2 milliards d’euros de retombées économiques.

Le réseau diplomatique français mobilisé pour l’Euro 2016

Dans le cadre de la campagne « Welcome in France », des expositions, des matchs amicaux avec des lycées français à l’étranger et des retransmissions de matchs dans les ambassades avec invitation de personnalités locales sont prévus partout dans le monde. Cette campagne se mêle à d’autres à l’image de l’opération gastronomique internationale « Goût de France / Good France » qui traitait également de l’Euro 2016 : gastronomie et sport y étaient associés comme deux éléments fondamentaux du soft power français. Avec « Welcome in France », il s’agit aussi de rassurer sur les conditions de sécurité en France et notamment les contrôles aux frontières, à la suite des attentats de Paris en 2015.

L’Euro 2016 sera également l’occasion de mettre en œuvre une opération séduction de grande ampleur sur le plan de la diplomatie. De nombreuses personnalités étrangères (chefs d’État, entrepreneurs) sont invitées et attendues. Liu Yandong, vice-premier ministre de la Chine en charge de l’éducation, de la santé, du sport et de la culture, se rendra en France pour l’Euro car la Chine possède un grand plan national de développement du football et souhaite s’inspirer du savoir-faire français en la matière. En outre, le match Allemagne/Pologne sera l’occasion d’un moment fort de diplomatie selon le format dit du « Triangle de Weimar », un forum trilatéral de dialogue et d’échanges entre l’Allemagne, la France et la Pologne. Quant au match d’ouverture France/Roumanie, il permettra à la France de recevoir le Premier ministre roumain afin de renforcer le partenariat stratégique franco-roumain signé en 2008 et renouvelé en 2013.

Enfin, l’Euro 2016 constitue une véritable vitrine de la filière française du sport et favorise l’exportation du savoir-faire français (construction des stades, savoir-faire organisationnel). Sans oublier que l’Euro 2016 ressemble fort à un galop d’essai en vue de la candidature de Paris pour les Jeux Olympiques de 2024.

Euro 2016, entre soft power et sécurité (2/2)

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Mercredi 25 mai 2016, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) organisait une conférence intitulée : « Euro 2016 : les défis pour l’image et la sécurité ». La France a le privilège d’accueillir l’Euro de football, le 3ème événement le plus médiatisé au monde, après les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde de football. La compétition se déroulera du 10 juin au 10 juillet 2016. Dans une première partie, nous avons vu comment la France souhaite augmenter son soft power grâce à l’Euro. Abordons maintenant l’immense défi de la sécurité.

L'Euro 2016, un événement sportif et festif sous haute sécurité
L’Euro 2016, un événement sportif et festif sous haute sécurité

Rappelons d’emblée que c’est la 3ème fois que la France organise l’Euro, après les éditions de 1960 et de 1984. Pour l’Euro 2016, les autorités françaises ont déposé leur candidature en 2009 qui a été retenue en 2010. Cela fait donc 6 ans que la France prépare cet événement exceptionnel. Le défi est immense car, pour l’édition 2016, il s’agit véritablement d’un mini mondial : le nombre d’équipes en lice est passé de 16 à 24 pour qu’il y ait des 8e de finale. La couverture médiatique sera exceptionnelle pour les 51 matchs prévus.

La France s’est dotée de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (créée en octobre 2009). Depuis, la législation a été durcie notamment avec la loi sur les bandes en 2010 ainsi qu’une loi plus récente pour renforcer le dialogue entre les supporters et le personnel en charge de mener la lutte contre le hooliganisme. De plus, un point national d’information football existe depuis 2002. Il favorise l’acquisition de renseignement et facilite le partage d’informations avec les structures équivalentes à l’étranger afin d’accompagner les déplacements de supporters. En France, le commissaire de police Boutonnet est à la fois le chef du point national d’information football et le chef de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme. Cette division travaille depuis plus de 3 ans sur l’Euro. Elle a réalisé un benchmark de ce qui se fait de mieux en matière de sécurité des grands événements sportifs à l’étranger. Globalement, l’ensemble du dispositif de sécurité de l’Euro 2016 est le fruit d’un travail de groupe avec les sociétés de sécurité privées, le comité organisateur de l’Euro 2016, les ministères et la FFF.

Comment fonctionne le dispositif de sécurité de l’Euro 2016 ?

Actuellement en France, le contexte sécuritaire et social est difficile. Grâce au réseau des points nationaux d’information football, les autorités françaises ont pris connaissance des itinéraires des supporters, de leur niveau de dangerosité ainsi que des lieux d’hébergement et de séjour. Des policiers étrangers sont mobilisés pour accompagner les supporters des équipes étrangères, des physionomistes appelés « spotters » dont certains en civil seront positionnés dans les stades pour surveiller les supporters qui présenteraient un risque. Certains seront retenus dans leur pays d’origine grâce au renforcement du contrôle des voies d’accès (ferrées, routières, aériennes) et du travail de la police aux frontières (RailPol, …).

Le centre de coopération policière internationale constitue le centre névralgique du dispositif de sécurité pour l’Euro 2016. Il établit une grille d’analyse de risques (échelle de 1 à 4) pour chaque match. Les mesures administratives d’anticipation des risques ont permis de baisser le risque. Aucun match n’est classé niveau 4 et seulement 5 matchs sont classés niveau 3. Les critères de risques tiennent compte d’une banque de données de sécurité référencée à chaque match. En outre, les autorités tiennent compte du nombre de supporters, de leur concentration géographique et de l’évolution (géo)politique des États qui peut avoir une influence sur l’attitude des supporters. C’était le cas lors d’affrontements entre supporters polonais et russes à l’Euro 2012. Concernant l’édition 2016, les efforts de sécurité seront concentrés sur les supporters anglais notamment dans le cadre du match Angleterre-Pays de Galles. Plus généralement, les personnes interdites de stade dans leur pays d’origine ne pourront pas accéder au territoire français. Notons qu’habituellement, lors des grandes compétitions sportives, le public est majoritairement familial, contrairement au public des championnats nationaux qui ont leurs ultras.

Enfin, des « fan zones » seront établis dans les grandes villes organisatrices de l’Euro 2016. Il s’agit d’une extension de la compétition pour accueillir un large public qui n’a pas obtenu de billet pour accéder aux stades. Ces « fan zones » seront des lieux de retransmission publique avec écrans géants et animations. Elles seront fermées et sécurisées avec palpations/fouilles, contribution de sociétés de sécurité privées et vidéosurveillance. Même des drones de surveillance seront déployés durant l’Euro pour assurer la sécurité de tous.

Le Père Noël au service du soft power finlandais

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La Finlande est en crise. Le pays scandinave de 5,5 millions d’habitants a enchaîné trois années consécutives de récession (2012, 2013 et 2014). En 2015, l’économie finlandaise enregistre une légère reprise de sa croissance (+0,5%) et tente de surnager malgré un taux de chômage élevé (9,4%). Toutefois, la morosité demeure : le pays peine a retrouvé son dynamisme économique depuis les mauvais résultats, puis le rachat de Nokia par Microsoft en 2011. En effet, après avoir manqué le virage stratégique du smartphone, la locomotive industrielle du pays s’est grippée. Souvenons-nous que le fleuron national finlandais reste connu à l’international comme l’ancien numéro un mondial des fabricants de téléphones portables.

La Finlande, le pays du Père Noël…

Heureusement pour elle, la Finlande peut compter sur son secteur touristique pour tenter d’enrayer cette spirale négative. Et pour cela, le pays nordique mise sur son va-tout : le Père Noël. Depuis les années 1960, le gouvernement finlandais a entrepris de diversifier son économie qui reposait jusqu’alors sur les industries minière, forestière et papetière. Par ailleurs, les responsables finlandais entendent lutter contre le dépeuplement du nord du pays (Laponie notamment). Helsinki engage alors une véritable stratégie de marketing territorial qui cible les touristes du monde entier : leur destination sera la Laponie car s’y trouve la maison du Père Noël !

Mais où vit le Père Noël ?

Dès lors, géolocaliser et s’approprier ce personnage mythique devient un enjeu économique et symbolique. Une bataille d’apparence géoculturelle, mais surtout géoéconomique commence : les Américains annoncent depuis la fin du XIXe siècle que le Père Noël vit au Pôle Nord, pour les Danois il réside au Groenland (qui appartient au Danemark), les Russes le localisent en Sibérie, les Canadiens dans le Grand Nord canadien, les Suédois à Gesunda (nord-ouest de Stockholm) et les Norvégiens à Droebak (sud d’Oslo). En vérité, chacun le voit chez soi car le Père Noël est devenu un objet d’appropriation au service du soft power du pays. Pour l’instant, à ce jeu-là, c’est la Finlande qui gagne ! Marc Lohez nous rappelle que les Finlandais surfent sur l’image publicitaire du Père Noël, créée par Coca-Cola. En 1930, le dessinateur Haddon Sublom est en effet à l’origine du Père Noël bedonnant rouge et blanc, qui envahit notre imaginaire collectif via les publicités de l’entreprise nord-américaine de sodas. En « capturant » le Père Noël américain et son image médiatique positive, les dirigeants finlandais annoncent que le Père Noël vit à Korvatunturi, dans l’extrême-nord du pays à proximité de la Russie.

Puis, par souci logistique, l’administration finlandaise décide de déménager le domicile du Père Noël à Rovaniemi, la capitale de la Laponie (qui possède un aéroport international). Ce tour de passe-passe fonctionne particulièrement bien : Rovaniemi accueille dès 1976 le célèbre bureau de poste du Père Noël qui reçoit des milliers de lettres d’enfants du monde entier chaque année. En 1985, le village du Père Noël est construit à Rovaniemi, 13 ans avant l’ouverture du Santa Park, un parc à thème souterrain qui a permis de reconvertir un ancien abri de défense civil en parc dédié au Père Noël. Rovaniemi, ancienne ville minière et forestière, dévastée durant la Seconde Guerre mondiale, va ainsi devenir un pôle d’excellence touristique. Rovaniemi mise sur le tourisme d’expérience : site internet officiel du Père Noël, balade en traîneau tiré par les rennes du Père Noël dans la taïga, photo avec le Père Noël dans sa maison, aurores boréales… L’université locale possède même un centre de recherche sur le tourisme. Même la compagnie aérienne nationale Finnair s’autoproclame la « compagnie officielle du Père Noël » et fait figurer le Père Noël sur certains de ses avions marqués du sceau : « Santa Claus Finland ».

L’entreprise Lappset Group, fournisseur finlandais d’équipements d’aires de jeux et Santa Park, sont devenus des leaders dans leur domaine et ont même essaimé à Chengdu, dans la province du Heilongjiang (nord de la Chine). Même les Chinois ont désormais leur Santa Park et leur Père Noël ! L’activité touristique bien que dynamique (5,5 millions de visiteurs en 2015, soit l’équivalent de la population finlandaise) ne peut pas tout à elle seule. Les touristes russes (les premiers en nombre) viennent moins en Finlande depuis que Moscou a interdit l’importation de produits agricoles en provenance de l’Union européenne en réaction aux sanctions occidentales qui frappent durement l’économie russe depuis la crise russo-ukrainienne. Résultat : les touristes russes étaient 1,6 millions à venir en Finlande en 2013 contre seulement 780 000 en 2015.

Face à cette situation difficile et même si le tourisme en provenance d’Asie augmente, le gouvernement finlandais devrait lancer en janvier 2017 l’expérience du revenu universel pour un échantillon de 2 000 demandeurs d’emploi. Si l’essai s’avère concluant, cette pratique pourrait à terme être réalisée à l’échelle du pays. Il s’agirait alors d’une première mondiale allant dans le sens d’une meilleure redistribution des richesses, un signe sans doute que la Finlande est bien le pays du Père Noël…

Tchad, la clef de voûte de l’Afrique

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Bernard Cazeneuve a choisi un pays pour son premier voyage à l’étranger en tant que Premier ministre : le Tchad. Le 29 décembre 2016, le chef du gouvernement français, accompagné du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a souligné le rôle clé joué par le Tchad et son armée dans la lutte contre les groupes armés djihadistes en Afrique. Cette visite constitue un signal faible qui montre le rôle crucial du Tchad dans la construction de l’architecture de sécurité du continent africain. Pour comprendre l’importance du Tchad, il est nécessaire d’analyser son environnement régional.

Au nord du pays, la Libye est, depuis 2011 et la chute du colonel Kadhafi, en proie à une guerre civile menée par des milices rivales. Le territoire libyen est également infiltré par des groupes armés terroristes dont Daech qui tend à redéployer ses forces dans l’Etat nord-africain, à la suite de son recul sur le théâtre syro-irakien. Le Premier ministre tchadien, Albert Pahimi Padacké, a par ailleurs annoncé le 5 janvier 2017 la fermeture de la frontière du Tchad avec la Libye, évoquant une « potentielle grave menace d’infiltration terroriste ». Et d’ajouter que les régions frontalières de la Libye deviendraient désormais des « zones d’opérations militaires ».

A l’ouest du Tchad, s’étend la bande sahélo-saharienne (BSS) où sévissent des organisations terroristes, comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine ou plus récemment Daech, mais aussi des réseaux de trafiquants. Il convient de rappeler que la France a lancé le 11 janvier 2013 l’opération Serval au Mali, dans le but de stopper l’avancée des djihadistes, en provenance du Nord-Mali vers la capitale, Bamako. A partir du 1er août 2014, l’opération Barkhane a remplacé l’opération Serval pour mieux lutter contre cette menace transfrontalière et empêcher la constitution d’un sanctuaire terroriste dans la BSS. Elle relève d’une approche stratégique, incluant les pays partenaires du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) dans la lutte contre les groupes armés terroristes de la région. La capitale tchadienne, N’Djamena, accueille notamment le quartier général du dispositif Barkhane qui compte désormais 4 000 militaires français. Notons que le Tchad fournit aussi le plus gros contingent (plus d’un millier de soldats) de la MINUSMA[1] (maximum de 13 289 militaires), l’opération de maintien de la paix de l’ONU au Mali.

La menace vient aussi du sud : Boko Haram et la Centrafrique

Au sud-ouest, le Tchad est limitrophe du Nigéria et du Cameroun, deux pays particulièrement frappés par la secte islamiste terroriste Boko Haram. La France plaide pour que l’UE verse les 50 millions d’euros promis à la Force multinationale mixte (FMM) opérant contre Boko Haram. Composée de 8 500 soldats originaires du Nigeria, du Niger, du Tchad, du Bénin et du Cameroun, la FMM a pour objectif de prendre en tenaille les combattants de Boko Haram dans la région du lac Tchad.

Au sud, la frontière tchadienne avec la République centrafricaine (RCA) est fermée. En effet, la zone frontalière est particulièrement instable côté centrafricain car y sévissent différentes milices, plus ou moins affiliées à la mouvance Séléka. Dans le contexte du conflit en RCA débuté en 2013, le Tchad a un temps fourni un contingent de 850 soldats à la MISCA[2], avant de le retirer en avril 2014, à la suite d’accusations de l’ONU portant sur une bavure de soldats tchadiens à Bangui. Rappelons que l’armée française est intervenue en Centrafrique dans le cadre de l’opération Sangaris, du 5 décembre 2013 au 31 octobre 2016.

A l’est enfin, le Soudan est en guerre (guerre du Darfour) depuis 2003, même si les origines des conflits soudanais remontent, elles, aux années 1950. Ces dernières années, le conflit au Darfour semble avoir baissé d’intensité. Quant aux relations entre le Tchad et le Soudan, elles tendent à se stabiliser, après la rupture des relations diplomatiques bilatérales de 2008. Le Président tchadien Idriss Déby soutient, en effet, le processus de paix au Darfour.

En somme, ce rapide panorama de la situation régionale montre que le Tchad constitue la pierre angulaire de la géopolitique africaine. Le Président Idriss Déby demeure soutenu par la France, bien consciente que si le Tchad tombe, un double arc djihadiste africain est susceptible de se constituer de la Mauritanie à la Somalie et de la Libye au Nigéria. Etant donné la crise politique (Idriss Déby est largement contesté, étant au pouvoir depuis 1990) et économique (la chute des cours du pétrole ayant sérieusement entamé les finances du pays) que connaît le Tchad actuellement, l’équilibre entier de la région ne tient désormais plus qu’à un fil. Dans ce contexte critique, l’Union européenne et les partenaires européens de la France tardent à apporter un soutien de grande envergure dont l’armée française a tant besoin.

[1] Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali.

[2] Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, remplacée par la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en RCA) en septembre 2014.

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